Neuf jours qui firent vibrer le monde | Polarjournal
Un paysage qui semble figé dans le temps. Et pourtant. Avec le réchauffement climatique, l’Arctique devient de plus en plus instable. Un effondrement de terrain suivi d’un méga tsunami, dont les oscillations auront été enregistrées à travers le monde durant neuf jours, en est la preuve. Photo : Julia Hager

Un glissement de terrain à l’est du Groenland a généré un méga tsunami dont les vibrations ont été enregistrées partout dans le monde durant neuf jours. En cause, le réchauffement climatique qui fragilise l’Arctique.

Quelque part dans un fjord reculé et inhabité de l’Arctique, 25 millions de m3 de roches et de glace s’écroulent, provoquant un méga tsunami d’une hauteur de 110 mètres. Alors que la vague s’étend dans le fjord, un mur d’eau de 4 mètres de haut frappe une station de recherche située à 70km de là. A l’échelle planétaire, le choc est enregistré sous la forme d’oscillations qui feront trembler la Terre, de l’Arctique à l’Antarctique, durant neuf jours.

Cette histoire aurait pu être tirée de l’un de ces films catastrophes dont Hollywood a le secret, mais il n’en est rien. L’événement est bien réel et s’est produit au Groenland en septembre 2023. C’est du moins ce que rapporte une équipe multidisciplinaire de chercheurs dont les résultats ont été publiés le 12 septembre dernier dans la revue Science.

Cette vidéo montre l’onde sismique engendrée par le mouvement d’oscillation de l’eau du fjord Dickson et qui se propage à travers la Terre. Les cercles de couleur désignent les stations de surveillance sismiques. Sur la partie droite de la vidéo, on voit une simulation numérique du tsunami et du mouvement d’oscillation dans le fjord. Vidéo : Stephen Hicks / YouTube

Mais que s’est-il réellement passé ? En septembre 2023, un énorme amas de roche s’effondre dans le fjord Dickson. Les 25 millions de m3 de roches et de glace dévalent les 1 200 mètres qui les séparent des eaux du fjord. L’impact est violent. Des éclaboussures d’eau sont projetées jusqu’à 200 mètres de hauteur et l’éboulement provoque un méga tsunami dont la vague atteint une hauteur allant jusqu’à 110 mètres. 

Dans les minutes qui suivent, la vague va parcourir le fjord sur 10 km perdant au passage de de sa hauteur pour atteindre sept mètres. Poursuivant sa course, la vague ira jusqu’à atteindre et endommager une station de recherche située à 70 km du glissement de terrain initial, sur l’île d’Ella. D’autres sites de patrimoine culturel et archéologique, présents le long du fjord, seront également détruits. 

Dans les jours qui ont suivi, la vague s’est réduite à quelques centimètres. Piégée dans un fjord étroit et sinueux, elle conservera toutefois suffisamment d’énergie pour poursuivre un mouvement d’avant en arrière. Ce mouvement d’oscillation, appelée seiche, qui se produira à intervalles réguliers de 90 secondes, va alors engendrer des vibrations dans la croûte terrestre de la Terre enregistrées par les sismomètres. 

Sous la forme d’un bourdonnement monotone, loin des habituels grondements et des « pings » caractéristiques des tremblements de terre, les vibrations enregistrées intrigueront des scientifiques pourtant bien décidés à trouver une explication à ce phénomène : « Lorsque j’ai vu le signal sismique pour la première fois, j’ai été complètement déconcerté. », mentionne le Dr Stephen Hicks de l’UCL Earth Sciences, dans un communiqué de presse publié par le University College de Londres le 13 septembre dernier. « Même si nous savons que les sismomètres peuvent enregistrer une variété de sources se produisant à la surface de la Terre, jamais auparavant une onde sismique de si longue durée, se propageant à l’échelle mondiale et ne contenant qu’une seule fréquence d’oscillation, n’avait été enregistrée. Cela m’a incité à co-diriger une grande équipe de scientifiques pour résoudre l’énigme. »

Le réchauffement climatique en cause

Pour parvenir à reconstituer l’événement, une équipe internationale multidisciplinaire s’est mise en place. Soixante-huit scientifiques issus de 40 institutions de 15 pays différents ont uni leurs efforts pour expliquer le phénomène. A l’aide d’un modèle mathématique détaillé et tenant compte de la topographie du lieu et de l’angle de l’effondrement, l’équipe de recherche a pu reconstituer le glissement de terrain en combinant des données sismométriques et infrasons avec des mesures sur le terrain, des images au sol et satellite et des simulations d’ondes de tsunami. 

Et pour les scientifiques, il ne fait aucun doute que le glissement de terrain et le tsunami sont liés au réchauffement climatique. Aminci par la hausse des températures, le glacier situé au pied de la montagne ne parvenait en effet plus à soutenir la paroi rocheuse qui le surplombait. La roche s’est alors écroulée, générant cet important glissement de terrain. Le premier observé à cet endroit du Groenland  : « En tant que spécialiste des glissements de terrain, un autre aspect intéressant de cette étude est qu’il s’agit du premier glissement de terrain et tsunami jamais observé dans l’est du Groenland, ce qui montre à quel point le changement climatique a déjà des impacts majeurs dans cette région. », a déclaré Dr Kristian Svennevig, auteur principal de l’étude et membre du Service géologique du Danemark et du Groenland (GEUS) dans le même communiqué de presse publié par l’UCL.

Or, l’Arctique est particulièrement touchée par un changement climatique qui fait grimper la température et pourrait bien entraîner d’autres événements de ce genre. Avec des conséquences qui pourraient être dramatiques. Malgré ses vastes étendues isolées, l’Arctique n’en reste pas moins une région habitée et fréquentée. Le fjord Dickson, par exemple, figure sur l’itinéraire de croisières d’expédition et le bilan aurait pu être bien plus lourd si un navire s’était trouvé à proximité.

En outre, plusieurs villages et constructions sont présents dans les fjords. Les dégâts sur la station scientifique de l’île Ella, pourtant située à 70 km du point d’éboulement, donnent déjà une idée des dégâts que de tels phénomènes pourraient infliger aux populations locales et aux infrastructures. D’où la nécessité, selon les auteurs de l’étude, de surveiller de près les régions arctiques afin de fournir des alertes précoces en cas de glissements de terrain et de méga tsunamis.

Lien vers l’article : Kristian Svennevig et al., A rockslide-generated tsunami in a Greenland fjord rang Earth for 9 days.Science385,1196-1205(2024).DOI:10.1126/science.adm9247

Mirjana Binggeli, Polar Journal AG

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