« Dans l’Arctique, il n’y a pas de petits accidents » | Polarjournal
La sécurité est un enjeu pour la navigation dans l’Arctique, où les infrastructures d’urgence sont rares. Au cours des dix dernières années, la distance parcourue dans la zone couverte par le Code Polaire a doublé et le nombre de navires a augmenté. Image : Air Force / Joint Arctic Command

Les enjeux de la sécurité maritime dans les zones polaires ont été abordés avec navigants, instructeurs et chercheurs à Brest au cours de la Sea Tech Week. L’atelier a été organisé par Anne Choquet, juriste spécialiste des espaces polaires, et Roberto Rivas Hermann, chercheur au Centre pour la logistique du grand nord, venu en résidence à Brest depuis Bodø en Norvège.

Le navire transporteur de colis lourds chinois Ocean 28 évolue sans capacité glace sur la route maritime du Nord (et sans escorte), violant les règles de sécurité du Code Polaire « avec au moins l’approbation tacite de la Russie », précise Malte Humpert pour GCaptain, jeudi dernier. Quel danger guette les navigateurs polaires dans l’Arctique ? À quels risques l’environnement est-il exposé ? Ces questions ont été abordées par un panel complémentaire d’experts des pôles, à la Sea Tech Week de Brest la semaine dernière. « En plus de cet atelier, nous avons également le projet de copublier un ouvrage dans une maison d’édition universitaire internationale », nous explique Anne Choquet, juriste spécialiste des espaces polaires de l’Université de Bretagne Occidentale, qui a fait équipe avec Roberto Rivas Hermann de la Nord University pour organiser l’événement.

« Le Code Polaire s’applique dans les secteurs maritimes où la concentration de glace dépasse 10 %. Il interdit tous les rejets d’hydrocarbures… », rappelle Hervé Baudu, professeur de sciences nautiques à l’ENSM et membre de l’Académie de Marine, sur son temps de parole. En plus d’avoir été impliqué dans la rédaction du Code Polaire entré en vigueur en 2017, il assure les formations nécessaires pour les navigants de la marine marchande et de la marine nationale française. Un capitaine doit suivre deux semaines de formation obligatoire pour naviguer dans ces eaux. « Il prend en main les cartes de glace pour planifier des voyages et pratique des manœuvres sur simulateur », explique-t-il. À son tour, le commandant de l’Astrolabe – qui effectue le ravitaillement de la station scientifique française en Antarctique – témoigne : « tous les jours, nous vérifions où se trouvent les autres navires, rares dans la zone. »

Si la formation est nécessaire, un équipement spécial l’est tout autant. Le bureau de certification Veritas développe et teste du matériel de sécurité dédié aux régions polaires. « Les radeaux de survie sont plus volumineux puisqu’il faut plus de kits d’urgence, d’eau, de nourriture et de matériel », précise Aurélien Olivin, ingénieur du Bureau Veritas. Entre les différentes sessions, des navigants repèrent quelques points techniques d’amélioration autour d’un café. Les exercices organisés en 2019 et 2023 à bord d’un navire de croisière avaient pour but d’atteindre les 5 jours d’autonomie minimum dans la glace ou sur la glace. Veritas travaille actuellement sur le développement de combinaisons étanches plus chaudes capables de flotter en attendant les secours.

« Dans l’Arctique, il n’y a pas de petits accidents, c’est toujours grave », commente Olivier Faury, professeur associé en transport maritime à la Normandie Business School. Présentant ses derniers résultats, il nous apprend que la majorité des incidents a lieu du côté russe de l’Arctique. La défaillance des machines est la cause principale des avaries, viennent ensuite les naufrages et les échouements. « Le facteur climatique est seulement en troisième position, mais il est aggravant », précise Olivier Faury. Les navires de pêche représentent une part significative des embarcations concernées, et les cargos figurent en seconde position. Rappelons que le réseau d’observation Protection of the Arctic Marine Environment a montré que les bateaux de pêche sont passés de 533 à 723 unités entre 2013 et 2023.


« Une crise peut suivre un schéma ordonné et prévisible, on s’entraîne, mais il faut parfois être prêt à passer du connu à l’inconnu. »

Johannes Schmied


Les yachts de plaisance sont aussi en augmentation, passant de 7 à 19 navires au cours de la dernière décennie. Le Code Polaire ne s’applique pas à ces navires de moins de 100 tonneaux, qui sont plus difficiles à suivre. « Seules les recommandations émises par l’État du pavillon comptent alors », explique Hervé Baudu, « par exemple le fait de posséder un moyen de communication Iridium. » Si certains ont beaucoup d’expérience, comme Éric Brossier, capitaine du voilier Vagabond présent dans l’assemblée, régulièrement des navigateurs s’aventurent pour la première fois en Arctique.

Jon Amtrup, auteur du livre Sail to Svalbard, est un habitué de l’archipel. Image : James Austrums

Si les accidents sont à redouter pour les marins, ou les passagers du secteur touristique, ils peuvent aussi avoir des conséquences sur l’approvisionnement en nourriture des communautés terrestres. Dans le nord-ouest du Groenland, il faut parfois attendre des mois avant qu’un bateau ravitailleur ne revienne. « Souvent, ces régions de l’Arctique ont une politique d’autonomie alimentaire minimale de 7 jours », nous explique en aparté Johannes Schmied, conseiller principal de NordLab et expert en gestion de crise.

Exposant son expérience au pupitre, Sara Bran, artiste ayant navigué cet été sur un kayak solaire au Groenland, explique que dans le nord, les locaux peuvent stocker de la viande sous des monticules de pierres pour barrer l’accès aux ours et aux renards. Mais pris entre l’inflation et une mauvaise banquise pour chasser, l’hiver dernier a été difficile, ainsi que Sara Bran l’a appris auprès des habitants.

« C’est pourquoi le Canada et l’Alaska sont assez proactifs pour maintenir les savoir-faire ancestraux à travers des formations ou des tutoriels dans les communautés arctiques », nous explique Johannes Schmied, qui étudie la gestion des crises, également au Svalbard. L’archipel compte un hôpital et des moyens de secours. Plusieurs éventualités sont envisagées par le gouvernement norvégien, comme l’échouement d’un navire de tourisme. Entre tactique, opération et stratégie, Johannes Schmied rappelle : « Une crise peut suivre un schéma ordonné et prévisible, on s’entraîne, mais il faut parfois être prêt à passer du connu à l’inconnu. »

Camille Lin, Polar Journal AG

Analyse des incidents : Fedi, L., Faury, O., Etienne, L., Cheaitou, A., Rigot-Muller, P., 2024. Application of the IMO taxonomy on casualty investigation: Analysis of 20 years of marine accidents along the North-East Passage. Marine Policy 162, 106061. https://doi.org/10.1016/j.marpol.2024.106061.

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