L’été dernier, les stations scientifiques française et australienne actives sur la côte est de l’Antarctique ont accueilli le test d’inspection croisée, un exercice de transparence du Traité sur l’Antarctique.
Que diriez-vous si vous organisiez avec votre voisin une visite croisée de vos logements respectifs ? Cela paraît plutôt sympathique. Mais si, par pur souci de transparence envers les règles communautaires, cela impliquait la rédaction d’un rapport rendu public, cela deviendrait tout de suite un peu plus délicat. L’Australie et la France ont pourtant joué le jeu en Antarctique en organisant une inspection croisée des environs de Dumont d’Urville et Casey, deux stations distantes de 1 300 kilomètres sur la côte est du continent. « Ce sont des outils utiles pour s’assurer que l’esprit du Traité est bien en place », nous répond Yan Ropert-Coudert, directeur de l’Institut polaire français. « Au cours de l’été antarctique 2023-2024, l’Australie a eu le plaisir de collaborer avec la France sur un programme d’inspections mutuelles en Antarctique », ajoute le porte-parole de l’Australian Antarctic Division. Le 14 octobre dernier, le Secrétariat du Traité sur l’Antarctique a rendu public les rapports. L’Australie remarque que la France a encore des progrès à faire pour améliorer les infrastructures et la biosécurité, mais ses représentants observent que le respect des animaux est fortement ancré dans les habitudes et la culture de la station. La France, quant à elle, encourage l’Australie à poursuivre le plan de retrait des vieux bâtiments et des déchets de l’ancienne station Wilkes, mais a été fortement inspirée par les sources d’énergie renouvelable exploitées à Casey. « Cette inspection croisée est un mécanisme exceptionnel en droit adopté en 1959 pendant la guerre froide. Dès lors, tous les États ont accepté de se faire inspecter, les États-Unis comme la Russie », nous explique Anne Choquet, juriste spécialiste des espaces polaires. « Si, au départ, l’idée était de maintenir la paix en Antarctique, aujourd’hui, c’est plus un moyen de renforcer les éléments du Traité liés à l’environnement, confirmés dans le protocole de Madrid. »
Un regard vigilant a été porté sur les cuves de gasoil. Dans l’histoire des installations antarctiques, plusieurs fuites ont été répertoriées, dont certaines à Casey entre 1999 et 2018. C’est pourquoi les différentes agences de moyens polaires remplacent progressivement les cuves de stockage par celles qui ont une double paroi. Selon le rapport australien, la France devrait renforcer le plan d’urgence en cas de fuite ; les auteurs notent également que Dumont d’Urville n’en a pas connu depuis 20 ans. Le carburant sert en grande partie aux générateurs pour que la lumière puisse briller pendant l’hiver pour les 23 hivernants venus de France et les 30 hivernants d’Australie. Celui de Dumont d’Urville a surpris par son âge, datant des années 1990. Les Australiens conseillent fortement de le renouveler dans les 10 ans. « Nous sommes en phase de montage d’une équipe pour travailler sur les pré-études pour une remise à niveau complète de la station [reconstruction totale, ndlr]. Je rencontre le nouveau ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche cette semaine. J’en saurai plus sur la progression à attendre sur ce dossier au vu des restrictions budgétaires demandées par le gouvernement », nous explique Yan Ropert-Coudert. D’un côté comme de l’autre, les stations s’essaient à de nouvelles formes d’énergie. Une éolienne verticale fonctionne sur l’île du Lion en Terre Adélie, tandis que Casey expérimente une station solaire de 30 kW. Cette dernière intéresse les observateurs français. « Comme ce sont nos partenaires numéro un dans la région, c’était un exercice très intéressant pour l’IPEV. Cela a permis à nos équipes de découvrir comment nos partenaires travaillent concrètement sur des sujets qui nous préoccupent également, comme les énergies renouvelables », explique le directeur.
Un géranium aux commandes
Pour rejoindre l’Antarctique, chaque pays dispose de ses propres possibilités pour faire atterrir des engins ou accoster des navires. Les Français n’ont pas l’intention de rénover la piste d’atterrissage de l’île du Lion, comptant sur celle enneigée, située à l’intérieur des terres. La station australienne peut recevoir personnel et matériel par voie aérienne, et la piste d’atterrissage accueille des avions lourds tels que l’Airbus A-319. La base française est davantage maritime, et les projets de reconstruction de Dumont d’Urville incluent un quai flottant pour faciliter les manœuvres. La visite de l’Astrolabe a permis de rappeler qu’il n’existe pas d’infrastructure dédiée à la biosécurité à bord du navire, et les inspecteurs ont été surpris par le géranium en fleur dans la passerelle du brise-glace opéré par la Marine nationale. À l’issue de leur visite, l’Australie souligne l’importance des kits de biosécurité et insiste pour que la présence d’espèces invasives puisse être contrôlée sur le navire afin de minimiser le risque d’introduction d’espèces non natives. Lors des réunions annuelles du Traité à Kochi cette année, les représentants français ont déclaré, à la suite du rapport, « qu’une stratégie de biosécurité plus ambitieuse » était en cours d’élaboration.
Le matériel qui arrive en Antarctique ne repart pas toujours. À côté de Casey, l’ancienne station Wilkes est un héritage dont l’Australie actuelle se serait bien passée. Construite en 1957 puis fermée en 1969, elle a été détruite par les intempéries. « Récemment, le programme Cleaner Antarctica s’est concentré sur la cartographie et l’assainissement […] des contaminants sur la station abandonnée de Wilkes », nous explique le porte-parole de l’Australian Antarctic Division. Comme l’indique le rapport, l’inventaire est conséquent. Le volume total de déchets et de sol contaminé s’élève à 31 000 m3. L’équipe française conseille de travailler dès à présent sur le projet d’évacuation, à commencer par les restes les plus volumineux, comme 8 anciennes antennes.
À Dumont d’Urville, du matériel volumineux sans utilité pourrait également être renvoyé vers Hobart par bateau, mais ce qui inquiète le plus les visiteurs, c’est la proximité entre la station et les colonies de manchots. La grippe aviaire pourrait arriver cet été en Terre Adélie. Des vétérinaires surveillent les oiseaux, mais un plan pour minimiser l’impact pourrait être mis en place. « Le HPAI est fortement suspecté à Crozet [îles subantarctiques, ndlr], mais nous devons attendre des tests finaux pour nous assurer qu’il s’agit bien de ce pathogène qui cause la mortalité anormale des éléphants de mer sur l’île », nous explique le directeur de l’Institut polaire français. « Un protocole de biosécurité a été mis en place pour protéger les humains tout en limitant la propagation du pathogène à d’autres colonies. Nous montons avec les TAAF un projet scientifique pour suivre l’évolution de la maladie et son impact sur les populations. » L’inspection croisée permet de rester transparent vis-à-vis du Traité. La rencontre avec le personnel a permis aux Australiens de constater que les scientifiques français étaient très attachés aux distances de sécurité avec les animaux.
Ce principe de transparence pourrait être élargi à d’autres parties prenantes, telles que les compagnies touristiques. « Il existe des lignes directrices pour organiser les inspections, un cadre est établi lors des réunions du Traité », nous explique Anne Choquet. « Récemment, un système d’observation sur les navires de tourisme a été discuté. Les États ont trouvé cela intéressant dans la volonté d’aller plus loin dans le respect des règles concernant le tourisme. »
Camille Lin, Polar Journal AG
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