Marie-Noëlle Rimaud, insulaire, polaire et pionnière | Polarjournal
Sa passion pour la voile lui a ouvert des perspectives au Groenland. Illustration : Gisèle Durand Ruiz

Le tourisme polaire, au Groenland, n’est pas un sujet fréquemment abordé dans les sciences économiques et sociales. Pourtant, ce qui autrefois pointait sur l’horizon, Marie-Noëlle Rimaud l’a désormais à portée de vue, et l’observe à travers un prisme qui lui est propre.

Cheveux courts, le teint hâlé par les lumières de la mer, Marie-Noëlle Rimaud a fini par trouver son chemin vers les régions polaires, vingt ans après avoir contracté « le virus » au Canada. Même si cet été le voilier d’expédition Atka – sur lequel elle devait s’embarquer pour le Groenland – est resté à Reykjavik en raison d’une quantité anormale de glace de mer face à Kulusuk, ce dernier la conduit depuis 2017 autour de l’île glacée. Elle y mène mordicus des recherches sur le tourisme. Rien à voir avec le terrain des glaciologues qui s’enfoncent dans l’inlandsis. Prospectus, avis de visiteurs… ou de visités, « je travaille là où les autres scientifiques ne vont pas », commence-t-elle à nous raconter. Les comptoirs touristiques – comme Ilulissat – les petites localités ou les navires de croisière lui donne matière à réflexion.

Selon ses observations des brochures de compagnie, l’offre repose sur des images d’Épinal qui sont « un brin décalées par rapport à la réalité pour ne pas dire complètement quand elles utilisent une représentation des autochtones ‘ingénus’. Il y a trop de folklorisation. » L’attitude de certains opérateurs « en mode séduction » vis-à-vis des Inuit, la laisse également dubitative : « ils leur font visiter les bateaux de croisière pour créer de l’échange, mais on oublie – ou on ne sait pas -, que les jeunes sont hyperconnectés et concernant le Groenland, que beaucoup étudient au Danemark, où ils passent parfois des vacances. »

Ses étudiants pourraient très bien s’orienter vers le tourisme arctique et travailler pour des opérateurs français aux destinations polaires. L’enseignante n’a qu’une crainte, qu’ils aient trop peu de connaissances sur ces régions, qu’elle dépeint dans les auditoriums des universités et écoles de management.

Ilulissat est une ville clé pour le tourisme au Groenland. Image : Coll. Marie-Noëlle Rimaud

Rafraîchissant les propos tenu sur les Inuit et leurs modes de vie d’une part, elle tente de dédiaboliser l’activité touristique d’autre part. Cet activité économique pourrait devenir un des piliers du gouvernement de l’île et une des solutions pour assurer des rentrées d’argent aux côtés de la pêche et des subventions danoises, dans une optique d’indépendance ou au moins d’autonomie. Mais à quelles conditions est-il possible de vendre la culture inuite sans la dénaturer ? Une interrogation qu’elle adresse régulièrement à la société érudite polaire française, le Comité national de recherches arctiques et antarctiques, dont elle fait partie.

« Sans parler de responsable, ou peu importe la terminologie qu’on emploie, quel tourisme peut avoir du sens, autant pour la population locale que pour ceux qui découvrent le territoire ? Cette question a toujours été mon point de départ », nous précise-t-elle depuis l’île d’Aix sur la côte atlantique française, avant que le signal sonore du bulletin météo adressé aux navigants ne retentisse sur la VHF du club de voile.

Entre tours, et touristes, sa pratique de la recherche est tournée vers les pôles. Sur l’île d’Aix, sa vie personnelle s’ancre dans ce territoire, qu’elle fréquente depuis toute petite. Ancienne conseillère municipale, membre active de l’école de voile et de la Société nationale de sauvetage en mer…

Membre de la station de l’île d’Aix de la Société nationale de sauvetage en mer. Image : Marie-Noëlle Rimaud

« Je me bats pour conserver les aspects maritime et insulaire qui définissent notre île : on pêche à pied, on fait du bateau… », cite-t-elle. Un combat qui lui est chevillé au corps, et qui reflète son amour pour la grande île groenlandaise, découverte par la lecture. Les aventures extraordinaires de Nansen et Malaurie ou encore les romans chaleureux de Jensen, Riel et Mathias Storch avec son fameux Rêve d’un Groenlandais, la jeune Marie-Noëlle Rimaud rêvait d’être de la partie.

En thèse à Québec à l’aube des années 90, elle étudiait le droit international au Canada, tout en montant le premier équipage féminin de la régate du Saint-Laurent, la fameuse course de canots à glace sur l’estuaire. « Il faut courir, ramer, pousser, soulever le canot sur d’énormes blocs de glace, et avancer dans les veines d’eau qui s’ouvrent… être tactique, par exemple, anticiper les courants. »

Prise par ses heures de bibliothèque, elle ne pouvait alors malheureusement pas suivre ses amis Marie-Claude Prémont et Herbert Schwartz le long de la rivière Mackenzie ou dans la baie James. Herbert Schwartz était le 1er médecin non autochtone installé à Tuktuuyaqtuuk, auteur de Elik and Other Stories of the MacKenzie Eskimos. « Son épouse Marie-Claude a également beaucoup fait pour les femmes inuit », se souvient la chercheuse. Toutes deux se sont rencontrées à la faculté de droit de l’Université Laval. Quand ils rentraient, Marie-Noëlle Rimaud écoutait leurs aventures, touchant du doigt « les problématiques telles que la violence, l’alcool et autres », qui sont inextricables du pan sombre de l’histoire coloniale.

Revenir pour mieux repartir

« J’ai commencé à m’intéresser au développement touristique, dans le secteur de Tadoussac, en relation avec les communautés de chasseurs », se rappelle-t-elle. Le club de plein air de l’université, qu’elle présidait temporairement, lui a permis de s’investir dans un centre d’interprétation des mammifères marins de la côte nord du Québec. Mais, par manque de légitimité d’un début de carrière et manque d’opportunité pour travailler sur le terrain dans les sciences sociales – à l’époque, publier des études de management du tourisme n’appartient à aucune tradition académique -, elle revient en France.

La vie à bord d’Atka. Image : Marie-Noëlle Rimaud

La direction d’une association de culture scientifique et la navigatrice Isabelle Autissier lui permettent de garder un lien avec les pôles, bien que quelque peu distendu, mais sa passion reste intacte. Elle affûte son sens politique du développement territorial avant de revenir vers l’enseignement en 2005.

En 2017, le navigateur François Bernard lui propose d’hiverner au Groenland sur le voilier Atka, dont elle préside aujourd’hui l’association. En 2021, son ami d’enfance, également de l’île d’Aix, Patrick Marchesseau, prend les rênes du puissant brise-glace Le Commandant Charcot. Deux portes s’ouvrent et l’étude du tourisme polaire peut enfin commencer.

Camille Lin, Polar Journal AG

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