Câbles sous-marins, la glace vue des fonds | Polarjournal
L’estimation de la quantité de glace de mer est difficile à cause de sa composition complexe. Image : Heiner Kubny

Une nouvelle méthode pour étudier l’extension de la banquise vient d’être développée par des chercheurs utilisant les lignes de fibre optique, une ingénieuse idée qui emploie l’existant dans une région inaccessible.

Ce 8 août des chercheurs de l’Université de New Mexico aux États-Unis ont publié dans The Seismic Record les résultats d’une méthode de détection de la glace de mer qu’ils ont développée à l’aide d’un câble sous-marin. Elle utilise la fibre noire. « Des paires de fibre non utilisées des câbles de fibres optiques qui sont déployés par les entreprises de télécommunication pour connecter les communautés de l’Arctique », nous explique Michael Delaunay, spécialiste des câbles sous-marins à l’Observatoire de la Politique et la Sécurité de l’Arctique.

Pendant la période de fonte, en juillet 2021 et la période de reconstitution de la banquise, en novembre de la même année, les chercheurs ont envoyé des signaux dans le câble sous-marin de la compagnie Quintillion partant de la côte nord de l’Alaska, dans une section de 37 kilomètres perpendiculaire au rivage. Leur intention était d’inventorier les différents types d’ondes reçues par le câble et d’identifier un signal propre à celui de la banquise.

Quand le vent agite la surface de l’eau et forme des vagues, la surface de l’océan émet des ondes de basses fréquences que les câbles captent. Sous la glace, ces dernières sont absentes, ne reste qu’un signal de hautes fréquences, auquel les chercheurs désirent porter une attention marquée lors de futures études.

Leurs résultats sont si précis qu’ils détectent la formation de banquise en quelques heures le long du câble pendant l’automne. « C’était vraiment surprenant de voir que la glace de mer puisse changer autant […], a déclaré Peña Castro, principale auteure de l’étude. Certains collègues avaient mentionné que ces changements rapides pouvaient être courants, mais la résolution temporelle des satellites fait qu’il est rare d’observer des variations de glace de mer soudaines. »

Les chercheurs ont confronté leur résultats aux méthodes d’évaluation de concentration de glaces utilisant des données satellitaires. Les deux procédés sont finalement très proches. Les quelques différences reposent sur leur sensibilité à la concentration de la glace de mer. À l’avenir les deux systèmes d’observation pourraient être complémentaires, les satellites couvrent plus de surface mais les câbles sont plus précis sur l’échelle du temps. Ces données sont également cruciales pour jauger l’évolution du changement climatique et pourraient être très utiles pour l’aide à la navigation. « Cela pourrait servir aux pêcheries locales », remarque Michael Delaunay.

Beaucoup de communautés dépendent de la glace de mer pour se déplacer, pêcher et chasser. Image : Guy Omnik from Point Hope / Alaska Arctic Observatory and Knowledge Hub

D’autres réseaux de câble pourraient être utilisés pour couvrir plus d’espace. « Dans la baie d’Hudson il y a deux sections et une 3e devrait voir le jour prochainement, le navire de pose devrait se rendre sur place bientôt, explique-t-il, le projet EAUFON consiste à connecter 14 communautés du Nunavut d’ici 2025. Il y a aussi le Groenland, où le Gouvernement veut rendre son réseau redondant avec un possible troisième câble à venir. »

Ces nouvelles sections seraient utiles en cas de rupture accidentelle ou intentionnelle des premières. « Deux coupures de service, en 2019 et en 2022 ainsi que les menaces de coupures de câbles venant de la Russie suite au déclenchement du conflit ukrainien les ont incités à chercher les financements pour rendre leur réseau redondant », rappelle-t-il. Neuf millions d’euros viennent d’être débloqués par l’Europe pour l’étude préliminaire des travaux. Le navire de recherche Explora partira donc en novembre pour étudier les fonds. Il existe aussi des projets en cours en Russie, plus difficiles à suivre à l’heure actuelle. Ces infrastructures pourraient donc devenir de nouveaux supports d’études afin de suivre l’évolution de la glace de mer en Arctique.

Dans l’Arctique, les câbles peuvent être enfouis dans le sédiment pour être protégés des icebergs. Image : GCI

Ces nouveaux usages des technologies ont déjà un impact sur la fabrication des nouvelles lignes sous-marines. Les boîtiers qui relient les sections entre elles peuvent héberger des capteurs spécifiques. « La semaine dernière, la fabrication d’un prototype de répéteur SMART incluant des appareils sensibles à la température, la pression et un accéléromètre a été annoncée. Alcatel Submarine Networks s’est d’ailleurs déjà engagée à les employer, il y en aura peut-être dans le câble Far North Fiber, qui prévoit de connecter l’Asie à l’Europe par l’Arctique, ce sera une première sur un câble aussi long et dans l’Arctique. » conclut Michael Delaunay.

La Far North Fiber inclut le câble sous-marin du nord de l’Alaska sur lequel les chercheurs de l’Université de New Mexico ont travaillé en 2021. En juin dernier, il a été sectionné par un iceberg échoué, privant des villes et villages du nord et l’ouest de la péninsule de connexion internet. Un navire de maintenance est parti fin juillet pour tenter de réparer l’ouvrage avec l’espoir de bénéficier d’un plan d’eau libre de glace.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers l’étude : Peña Castro, A.F., Schmandt, B., Baker, M.G., Abbott, R.E., 2023. Tracking Local Sea Ice Extent in the Beaufort Sea Using Distributed Acoustic Sensing and Machine Learning. The Seismic Record 3, 200–209. https://doi.org/10.1785/0320230019

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