Maitrise de son environment, le sentiment clé de l’hivernage | Polarjournal
Cette étude s’appuie en partie sur la vie de la base scientifique française de l’archipel de Kerguelen. Ici photo prise sur le sommet le plus proche de la base (mont du Château) en hiver. Image : Camille Lin

Le personnel des bases scientifiques est très diversifié, une sorte de loterie à laquelle les membres des missions scientifiques s’exposent quand ils partent travailler dans l’hostilité des pôles. La difficulté c’est de tenir psychologiquement sur la longueur. Un sentiment clef aide à passer outre les ardeurs de l’hivernage : la maîtrise de son environnement.

En ce mois de janvier, les bases scientifiques de l’Arctique sont dans le creux de l’hiver et certains membres des missions polaires françaises reviennent du sud après plus d’un an d’isolement. Au cours de leur hivernage, s’être senti maître de leur environnement était primordial afin de garder le moral lors de la saison froide au bout du monde. L’étude de Michel Nicolas et ses collègues, publiées dans Journal of Environnemental Psychology en août dernier souligne l’importance de ce sentiment pour survivre dans les environnements extrêmes et apporte un nouveau point de vue concernant la préparation des missions scientifiques, spatiales et polaires.

« La maitrise de l’environnement c’est un sentiment de contrôle. Il peut être éprouvé en réponse à un stress, ceux qui le ressentent ont alors la capacité de mobiliser des ressources pour s’adapter », nous explique Michel Nicolas depuis son bureau de l’Université de Bourgogne Franche-Comté à Dijon. Lorsque ce sentiment opère au sein des membres d’une mission, il y a plus de chance que des liens se créent entre eux.

« Comme dans toutes les stations polaires, les hivernants qui se succèdent sont isolés de leurs proches, avec qui ils gardent un lien fragile. Ils sont en permanence avec des gens qu’ils apprennent à connaitre, mais qu’ils n’ont pas choisis. Une petite communauté qui travaille ensemble, mais pas seulement, ils partagent aussi leur quotidien », décrit le psychologue chercheur.

Pendant cette période, l’environnement physique est particulièrement hostile, il fait froid et la pression atmosphérique chute souvent, annonçant un épisode de vent, de pluie ou de neige. « Dans ces conditions, ils font face à la lassitude et la monotonie, et moindre conflit peut rapidement prendre de l’importance », raconte-t-il. Sur les bases, c’est courant qu’il y ait des problèmes d’occupations, l’ennui peut alors gagner la psychologie des hivernants.

« Un groupe se constitue autour de mêmes valeurs malgré leurs différences, cela peut être l’aventure ou l’exploration. Pour voir si un groupe fonctionne bien ensemble, il faudrait faire un prédépart, dans le milieu militaire c’est ce qui se fait. » explique Michel Nicolas. Image : Camille Lin

Ensuite, ce qui induit le plus d’angoisse ce sont les problématiques sociales comme les différences entre les genres, l’âge, le poste, la nationalité, les comparaisons sociales et la compétition. Si cette expérience était involontaire, le vécu pourrait être comparé à celui de l’enfermement carcéral. « Une fois sur la base de Dumont d’Urville, l’un des nouveaux arrivants a déclenché un épisode psychotique dès ses premiers jours sur place », nous rappelle Michel Nicolas. Le stress est plus marqué à Dumont d’Urville en Antarctique que sur l’archipel de Kerguelen, où la possibilité de bouger à l’extérieur constitue une activité que l’on peut faire à plusieurs et durant laquelle on a l’occasion de discuter.

L’archipel de Kerguelen héberge une centaine de personnes l’été et moins de 50 l’hiver, tandis que sur l’Antarctique à Dumont d’Urville, l’effectif de la base retombe en dessous de 30 personnes en hiver. Les chercheurs ont consulté les hivernants avant leur départ puis entre le 6e mois et le 12e de la mission, avec l’appui de l’Institut Polaire Français. Cinquante-trois hivernants de missions différentes ont rempli des formulaires d’autodescriptions psychologiques et physiologiques.

« Les profils qui réussissent et qui récupèrent bien face au stress, face à l’isolement, sont souvent des personnes qui s’adaptent facilement aux changements, c’est la même chose dans le spatial. » selon Michel Nicolas. Ce sont des personnes qui ont une stabilité émotionnelle forte et tolèrent bien la frustration. « Ni trop introverti, ni trop extraverti. Extraverti c’est bien pour l’ambiance, mais à la longue cela peut devenir un peu lourd. » complète-t-il. De manière générale, ces personnes sont plutôt curieuses et ouvertes.

La fin de l’hivernage, est aussi une période qui génère de la pression, parce qu’il y a la question de l’après qui revient. « C’est une sorte de traversée du miroir, rapporté à eux même avec des questions telles que : « qu’est-ce que je veux faire de ma vie ? » « Quels projets pour la suite ? » « Comment envisager le retour parmi les miens ? » », explique Michel Nicolas. Il faut alors que les hivernants se réadaptent au monde et reprennent des habitudes aussi simples que l’usage de la carte bleue, qu’ils ont eu le temps d’oublier après plus d’un an.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers l’étude : Michel Nicolas, Guillaume Martinent, Lawrence Palinkas et Peter Suedfeld, Journal of Environmental Psychology, 2022, Dynamics of stress and recovery and relationships with perceived environmental mastery in extreme environments, doi.org/10.1016/j.jenvp.2022.101853.

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