Quand l’aérogel prend exemple sur les ours polaires | Polarjournal
Paré pour affronter les grands froids de l’Arctique. Constituée de deux couches, dont l’une constituée de poils creux, et associée à une peau noire et une bonne couche de graisse, la fourrure des ours polaires offre une protection optimale contre le froid. À tel point que les ours ont parfois trop chaud et doivent trouver des stratégies pour se rafraîchir, quitte à prendre des poses cocasses. Une équipe de recherche s’est justement inspirée de la fourrure du roi de l’Arctique pour développer un nouveau textile efficace contre les (très) basses températures. Image : Michael Wenger

Les aérogels sont considérés comme étant les meilleurs isolants thermiques au monde. Ce matériau synthétique très léger, utilisé entre autres dans l’isolation des bâtiments, peut désormais être utilisé dans la fabrication de vêtements pour grand froid, grâce à une équipe de chercheurs chinois qui s’est inspirée de la fourrure des ours polaires pour développer une nouvelle fibre textile. 

Une fibre qui imite la fourrure de l’ours polaire, aussi chaude qu’une doudoune et cinq fois moins épaisse, tel est le matériau récemment mis au point par une équipe de chercheurs chinois. Leur étude, publiée le 21 décembre dernier dans la revue Science, dévoile une fibre fabriquée à partir d’aérogel, un matériau synthétique très léger et qui permet de conserver la chaleur. 

Les aérogels constituent les meilleurs matériaux d’isolation thermique au monde. Pourtant, ils s’adaptent mal à la fabrication de vêtements. Extrêmement cassants et fragiles, ils sont impossibles à tisser. Autre problème, ils perdent leurs propriétés isolantes en cas de lavage ou dans un environnement humide.

Un bloc d’aérogel montré par Peter Tsou, coordinateur du projet Stardust de la NASA. Ce matériau, inventé dans les années 1930, ressemble à un gel où le liquide a été remplacé par du gaz. Composé à 99,8% d’air, il est à la fois incroyablement léger et résistant (il peut supporter plus 2 000 fois son poids). Sa transparence est liée à la grande présence d’air. Les aérogels composés de silice sont d’excellents isolants thermiques. Image : NASA/JPL-Caltech / Wikicommons

Pour parer aux limites de l’aérogel et permettre son utilisation dans la fabrication de vêtements, les chercheurs se sont inspirés de la fourrure de l’ours polaire. 

Pour résister aux températures glaciales de l’Arctique, l’ours polaire est équipé d’une fourrure qui est constituée de deux couches. La première couche est faite de longs poils raides et creux et la seconde couche, proche de la peau, est un duvet dense. 

Pour l’équipe de recherche, c’est la première couche qui a été la source d’inspiration pour mettre au point un fil textile d’aérogel. « Les poils d’ours polaire ont un noyau poreux et une structure dense pour éviter la perte de chaleur. Ces caractéristiques structurelles dissocient la fonction d’isolation thermique et la résistance mécanique des poils, ce qui a inspiré notre conception et la préparation des fibres synthétiques. », expliquent les chercheurs dans leur article. 

Biomimétisme ou quand la technologie copie la nature. À gauche, la fourrure de l’ours polaire avec son centre poreux entouré d’une gaine. L’air peut y circuler tout en assurant à l’animal isolation et chaleur dans des conditions de froid extrême et d’humidité. Un avantage certain pour ces grands prédateurs classés comme animaux marins. À droite, une structure d’aérogel entouré d’une gaine en polyuréthane thermoplastique. Images : M. Wu et al. / Science

Les chercheurs ont alors encapsulé des fibres d’aérogel dans une gaine synthétique faite de polyuréthane thermoplastique, connu pour sa résistance et son élasticité, permettant ainsi d’obtenir une fibre textile souple sans sacrifier les propriétés d’isolation thermique. Les scientifiques ont ensuite tricoté un pull en se servant de ces fibres d’aérogel encapsulé (FAE) nouvellement créées.

Afin de vérifier le pouvoir isolant de leur création, ils ont ensuite effectué des tests comparatifs sur un volontaire vêtu de différents vêtements (pull en aérogel, doudoune, pull de coton et pull de laine) et enfermé dans une chambre froide à –20°C. Les scientifiques ont mesuré la température de surface de chacun des vêtements. Alors que le pull en coton, le moins isolant, affichait une température de surface de 10.8°C (traduisant ainsi une déperdition de chaleur corporelle), le pull en aérogel n’affichait qu’un petit 3.5°C. Un résultat comparable à celui de la doudoune (3.8°C) mais pour une épaisseur cinq fois inférieure. Et même après lavage, la fibre d’aérogel encapsulé conservait ses propriétés d’isolation thermique.

En haut : un tricot qui ressemble farouchement à n’importe quel pull en laine. Pourtant, ce pull en fibres d’aérogel encapsulé s’est révélé bien plus efficace pour protéger du froid. Après un séjour dans une chambre froide à –20°C, la température de surface du pull en laine était de 7.2°C contre 3.5°C pour le pull en aérogel. Des propriétés d’isolation au froid conservées même en cas de lavage et de teinture du tissu. En bas : les mesures de température de surface pour chaque vêtement utilisé durant le test (de gauche à droite, le pull en fibre d’aérogel encapsulé, la doudoune, le pull en laine et le pull en coton). Images : M. Wu et al. /Science

Toutefois, que les fashionistas polaires et les frileux ne se réjouissent pas trop vite de ces résultats prometteurs. Les vêtements en fibre d’aérogel encapsulé ne risquent pas de se retrouver bientôt dans les vitrines des grandes chaînes de distribution ou des magasins de sport. La création de la fibre requiert en effet beaucoup de temps et d’énergie pour pouvoir être commercialisable et est donc particulièrement chère. Bien que les chercheurs à l’origine de cette technologie soient en train de plancher sur ce problème, la fibre d’aérogel encapsulé devrait en premier lieu trouver une utilisation dans les vêtements techniques militaires ou spatiaux.

Mirjana Binggeli, PolarJournal

Lien vers l’étude : Mingrui Wu, Ziyu Shao, Nifang Zhao, Rongzhen Zhang, Guodong Yuan, Lulu Tian, Zibei Zhang, Weiwei Gao, and Hao Bai, Biomimetic, knittable aerogel fiber for thermal insulation textile, Science 382 (6677), DOI: 10.1126/science.adj8013, https://www.science.org/doi/10.1126/science.adj8013

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