Un petit réacteur nucléaire pour une petite communauté polaire ? | Polarjournal
Akulivik est un village du Nunavik qui compte plus de 600 habitants et possède son propre aéroport. La municipalité est alimentée par une centrale thermique. Image : Chouch

De petits réacteurs modulaires (SMR) pourraient alimenter les communautés de l’Arctique en électricité nucléaire au Canada. L’Université de Technologie de l’Ontario avance sur son projet avec le réacteur ZAN4e spécialement conçu pour opérer dans des conditions extrêmes.

Deux ingénieures de l’Université de Technologie de l’Ontario au Canada dévoilent dans Nuclear Technology le fonctionnement d’un petit réacteur modulaire (SMR) destiné aux communautés isolés de l’Arctique. Jordan Crowell et Eleodor Nichita affirment que ZAN4e serait capable de produire 3,5 MW d’électricité pendant 2 ans et 9 mois, et réchaufferait assez d’eau pour alimenter le circuit de chauffage domestique d’une communauté moyenne de l’Arctique canadien. « Nos modélisation viennent de prouver que c’est théoriquement faisable », nous explique Jordan Crowell.

Les chercheurs estiment que la conception de ZAN4e rend le réacteur techniquement viable, mais plusieurs points devraient encore être améliorés avant de se lancer dans sa construction : 1. L’écoulement des fluides ; 2. La nature des cuves pour éviter toute entrée d’air accidentelle ; 3. Les interactions chimiques entre le plomb et l’acier inoxydable.

La cuve qui renferme l’uranium enrichi est refroidie par un liquide qui circule en circuit fermé à l’intérieur du réacteur. Le fluide contient du plomb pour éviter le gel, il chauffe et se transforme en vapeur pour faire tourner la turbine. « On ne peut pas utiliser d’eau parce qu’à l’extérieur il peut parfois faire -50°C », nous explique Jordan Crowell. ZAN4e devrait être utilisé dans des zones sans production d’eau ni réservoir et sans autre source d’électricité.

Le gel de la machine entrainerait des complications difficiles à résoudre sur place. La microstation est entièrement pressurisée et étanche. Pour l’ouvrir, il faudrait la transporter dans une usine spécialisée où des SMR devraient être reconditionnées et réapprovisionnées en uranium. Ces usines seraient aussi responsables des déchets nucléaires, qui rappelons-le, restent radioactifs pendant des centaines de milliers d’années. Leur recyclage reste irréalisable et le stockage reste la seule solution connue. La France par exemple, stocke ses déchets dans des piscines spécialisées et étudie la possibilité de les enfouir à 500 mètres sous terre.

Visite du projet de SMR développé au Texas par Last Energy suivit de l’intervention d’Edwin Lyman, physicien et directeur de la branche Sécurité nucléaire de l’association américaine Union of Concerned Scientists qui exprime son scepticisme à propos des SMR. Vidéo : YouTube / The Associated Press

Le gouvernement canadien estime qu’il serait profitable de remplacer les génératrices diésel des communautés de l’Arctique par cette technologie pour réduire ses émissions de carbone et ses dépenses. « L’actuel coût de production est environ 10 fois plus élevé en Arctique que dans les zones densément peuplées, connectées au réseau électrique.  » explique Jordan Crowell. La différence de coût vient du transport. Les voies maritimes sont bloquées en hiver par la glace, les villages sont éloignés des raffineries, il faut parfois même ravitailler en hélicoptère.

Le plan canadien de développement des SMR inventorie 79 communautés où la consommation d’électricité dépasse 1 MW, dans les régions de News Brunswick, Nunavut, Alberta et Saskatchewan. Vingt-neuf sites miniers isolés sont également concernés par le plan national. Le gouvernement a organisé des tables rondes qui réunissent les communautés locales, des instituts de recherches et des producteurs d’énergies pour mettre en place un dialogue.

Le prix de construction d’une SMR varie selon les modèles, Jordan Crowell estime le premier ZAN4e à deux cent millions d’euros et « serait déjà moins cher que l’actuelle mode de production d’électricité des communautés arctique, et plus on en produit plus les coûts de production diminuent ». L’Arctique est une petite part du plan de développement technologique du Canada qui veut prendre une place dans le marché international. Le Canada prévoit d’exporter les SMR à hauteur de 150 milliards d’euros par an entre 2030 et 2040, et pense avoir sa première SMR fonctionnelle d’ici 2026.

Camille Lin, Polar Journal

Lien vers l’étude : Crowell, J., Nichita, E., 2023. Conceptual Design of a Micro Nuclear Reactor for Canadian Arctic Communities. Nuclear Technology 0, 1–11, https://doi.org/10.1080/00295450.2022.2135334.

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