Récit de voyage au Groenland, Christian Rixen, 2e partie | Polarjournal
Notre cabane, le seul bâtiment rescapé d’une grande station de recherche datant de 1931. À gauche, contre le mur, nos installations solaires ; devant la cabane, des bâtons de randonnée, des armes et une clôture contre les ours polaires. Photo : Andreas Gygax / SLF

Le biologiste Christian Rixen écrit sur l’expédition au Groenland de l’été dernier sur les traces de botanistes historiques – et du changement climatique. Un article originalement publié par l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (SLF).

Sur l’île de Clavering nous allons passer les deux prochaines semaines, dans un abri historique où on nous permet aimablement de séjourner (merci beaucoup à NANOK, une association qui réhabilite les vieilles cabanes). On y trouve une petite table et trois couchettes – que demander de plus ? Cette cabane date de 1931 et nous découvrons aux alentours les restes de plusieurs maisons de la même époque. Nous commençons à nous rendre compte que nous nous situons dans un lieu chargé d’histoire (et pas seulement du point de vue botanique). En 1931, Lauge Koch y érigea, avec la collaboration de Gelting (!), une grande station de recherche avec plusieurs constructions. En 1945, des soldats allemands ont malheureusement détruit le site – à l’exception de la petite cabane dans laquelle nous vivons actuellement.

La cabane est notre base, mais nous ne tardons pas à nous remettre en route pour aller plus haut. Nous voulons suivre avec précision l’itinéraire et les parcelles de relevés de Schwarzenbach, du niveau de la mer jusqu’à environ 1300 m. Cela signifie beaucoup de travail, parfois à altitude élevée et trop loin de notre bon refuge (deux semaines sont vraiment un délai très court). Nous avons donc besoin d’un autre camp à quelque 600 m d’altitude, comme l’avait fait Schwarzenbach. Il nous faut ainsi reprendre notre matériel de camping, de la nourriture pour quelques jours, des armes, etc., afin d’installer un bivouac sur la montagne.

Il fait beau et le travail avance. Mais il faut se protéger la nuit d’éventuelles visites d’ours polaires : nous installons tout d’abord une clôture autour de la tente. Elle n’empêche pas les ours polaires de passer, mais elle émet une détonation lorsqu’un gros animal (ou un homme) se prend les pieds dans le cordon de la clôture. Dans ce cas, il faut aussi être sorti du sac de couchage et de la tente en deux secondes pour pouvoir réagir. Cela nous paraît juste pour notre sécurité et nous décidons de monter une garde de nuit, soit une période de trois heures pour chacun, par exemple de minuit à trois heures du matin, de trois heures à six heures ou de six heures à neuf heures. Ainsi, chacun aura un peu moins de six heures de sommeil. C’est peu, mais ça doit suffire. Le soleil brille de toute façon 24 heures sur 24, et la vue depuis le camp compense le manque de sommeil. La veille intermédiaire n’est pas la plus appréciée, mais elle est parfois récompensée par l’apparition de lièvres des neiges peu farouches, presque entièrement blancs même en été. Des bœufs musqués se sont également approchés du camp, mais ont fait demi-tour à temps. Nombre d’ours polaires : heureusement nul.

Charlotta et moi comptons les plantes en accéléré. Vidéo : Christian Rixen

À propos de nos travaux

Charlotta et moi comptons les plantes en accéléré. (Vidéo : Christian Rixen)
Schwarzenbach a noté sur 19 sites toutes les espèces végétales qu’il a trouvées. En outre, il a relevé toutes les espèces le long d’itinéraires et, surtout, il a enregistré les occurrences les plus élevées de chaque espèce en redescendant. Nous avons autant que possible imité cette approche. Grâce à une bonne documentation photographique de Schwarzenbach, nous avons pu retrouver la plupart des lieux. Par beau temps, nous avons atteint dès les premiers jours le point culminant, le sommet de l’Østtinden, à environ 1275 m d’altitude. De là, à la descente, nous avons noté les occurrences les plus élevées de toutes les espèces végétales. Nous avons relevé à nouveau toutes les espèces pour chaque niveau d’altitude tous les 100 m, de sorte que nous connaissons maintenant leur répartition altitudinale actuelle et pouvons la comparer avec celle d’autrefois. Le travail était intéressant, mais très long et difficile. En raison du jour permanent et parce que nous voulions profiter du beau temps, nous ne sommes revenus plusieurs fois à la tente ou au refuge qu’après minuit.

De retour en Suisse

Actuellement, nous dépouillons nos données. Il est encore trop tôt pour dire si les espèces végétales se sont déplacées vers l’amont au cours des 20 dernières années. Mais nous avions déjà appris bien des choses de la comparaison entre les études de Gelting et de Schwarzenbach. Ce dernier a écrit dans son évaluation provisoire que, toutes espèces confondues, leur limite maximale d’altitude a augmenté de cinq à six mètres par décennie. Alors que Gelting a trouvé huit espèces à 1225 m et plus, Schwarzenbach en a observé 28. Nous sommes impatients de voir si nous pouvons confirmer ces tendances ou si elles se sont même renforcées. Comme les glaciers, les plantes sont d’excellents indicateurs de l’évolution de paramètres tels que les températures et les précipitations, et plus les informations remontent loin dans le temps, mieux nous comprenons comment l’environnement du Groenland s’est transformé à long terme. Par contre, nous en savons beaucoup trop peu sur la couverture végétale dans une région aussi reculée. Nous avons également trouvé quelques espèces plus rares : or, pour protéger la biodiversité, il faut connaître ces espèces exceptionnelles et leur présence (le nord-est du Groenland est tout de même le plus grand parc national du monde, et en outre le moins fréquenté !). Étant donné que le Groenland subit actuellement des évolutions importantes en raison du changement climatique et que la couverture de glace diminue, il est pertinent de savoir si les plantes peuvent coloniser de nouveaux habitats et à quelle vitesse. Cela a notamment un impact sur la formation du sol et la fixation du carbone par les racines. Avec notre étude, nous voulons donc utiliser des informations historiques pour contribuer à comprendre les changements de cette région du monde que nous considérons comme extrême.

Nous remercions INTERACT, la station de recherche du Zackenberg, la Fondation Suisse pour Recherches Alpines FSRA ainsi que la famille Schwarzenbach pour leur soutien à notre projet !

Dr. Christian Rixen est directeur de recherche à l’Institut pour l’étude la neige et des avalanches SLF à Davos. Ses sujets de recherche concernent principalement l’environnement alpin, les risques naturels et les écosystèmes dans les milieux extrêmes.

Pour en savoir plus sur l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches SLF : https://www.slf.ch

En savoir plus sur le sujet :

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