Une équipe suisse sur les traces de deux botanistes du passé | Polarjournal
De gauche à droite : Andreas Gygax, botaniste, Charlotta Mattsson, étudiante en master à l’Université de Bâle, et Christian Rixen, scientifique senior auprès de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches. Alors qu’ils reviennent tout juste du Groenland, il faudra encore patienter un peu pour découvrir le résultat de leurs observations. Image : Andreas Gygax et Charlotta Mattsson

En se basant sur les données scientifiques établies au Groenland par deux botanistes il y a 90 et 20 ans, une équipe de recherche suisse a suivi les mêmes itinéraires afin d’enregistrer les espèces de plantes et l’impact du réchauffement climatique sur la flore.

Le 25 juillet, deux scientifiques de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (SLF) en Suisse et un étudiant en master de l’université de Bâle sont partis en expédition dans un coin reculé du nord-est du Groenland. L’objectif du projet ressemble à celui de toute expédition moderne : identifier les populations de plantes locales, analyser leur évolution au cours des dernières décennies et mesurer l’impact du changement climatique sur la flore. Mais l’idée sous-jacente est tout sauf nouvelle. L’équipe a suivi les traces de deux expéditions précédentes, menées aux mêmes endroits et sur les mêmes sentiers : « Nous faisons ici de la botanique historique, en suivant les traces d’un botaniste danois qui s’est rendu dans cette région en 1931/32 et 34. Un botaniste suisse a refait le même relevé de plantes 70 ans plus tard, du niveau de la mer jusqu’à environ 1 300 mètres », explique Christian Rixen, scientifique principal à la SLF, à son retour du travail sur le terrain.

L’idée de reconstituer l’expédition pour la troisième fois est née d’une rencontre entre Rixen et un botaniste suisse : « J’avais rencontré Fritz Hans Schwarzenbach il y a une douzaine d’années et il m’avait parlé de son travail ». Habitué à effectuer des relevés répétés des sommets et de la flore en reprenant les travaux des botanistes, dont certains remontent à 1835, le scientifique est contacté par Schwarzenbach : « Disposant de ces données historiques du Groenland, il se demandait si elles ne pourraient pas relancer une collaboration entre la Suisse, le Danemark et le Groenland. »

Entre 1931 et 1932, le botaniste danois Paul Gelting (image de gauche) avait effectué une étude approfondie des plantes de l’île de Clavering, notant méticuleusement toutes les espèces, par palier de 100 mètres, entre le niveau de la mer et 1 200 mètres d’altitude. Le biologiste suisse Fritz Hans Schwarzenbach (à droite) a repris le même tracé 70 ans plus tard, tracé qui sera repris 20 ans plus tard par les scientifiques de la SLF. Images : Wikiwand et ZVG

Le botaniste suisse, décédé en 2018, a en effet toujours mis en avant la collaboration historique entre la Suisse et le Groenland. A l’image de Lauge Koch, célèbre géologue qui lors de ses nombreuses expéditions sur l’île, incluait toujours des Suisses dans ses équipes. En 1995, Schwarzenbach a même organisé une réunion des membres suisses de ces expéditions. « D’une certaine manière, nous ne faisons pas seulement le travail de nos biologistes, nous suivons également les traces historiques de ces pionniers. », relève M. Rixen.

Avec l’appui du programme européen INTERACT, l’équipe de scientifiques prépare son expédition en organisant avec soin les données historiques de leurs prédécesseurs : « Du niveau de la mer jusqu’au sommet des montagnes, nous disposons d’informations sur l’endroit où pousse chaque espèce pour chaque zone de cent mètres. Et il existe au total environ 130 espèces différentes. Il était clair que nous devions faire la même chose, c’est-à-dire monter d’abord jusqu’à l’altitude la plus élevée, puis redescendre tout en enregistrant chaque nouvelle espèce qui se serait déplacée à une altitude supérieure.”

En plus de l’équipement destiné à assurer sa survie en autarcie, l’équipe va s’aider de cartes téléchargées sur leurs téléphones, permettant ainsi de suivre avec précision le tracé des précédents scientifiques. Panneaux solaires pour fournir l’électricité nécessaire et batteries viennent compléter le matériel embarqué, en plus des téléphones satellites en cas d’urgence et pour assurer la communication avec la station scientifique de Zackenberg : « J’aimerais vraiment remercier INTERACT et la station Zackenberg pour avoir rendu ce projet possible. », souligne M. Rixen dont l’équipe aura également pu profiter du soutien logistique de la station.

S’adapter en s’élevant

Les travaux menés en 2001 avaient déjà démontré que de nombreuses espèces s’étaient déplacées vers le haut en raison du changement climatique. Un phénomène que M. Rixen s’attend à retrouver dans ses résultats : « Je pense que cela serait conforme à ce que Schwarzenbach avait observé. Ce n’est pas très surprenant mais c’est très intéressant. Il semble que l’on puisse aujourd’hui trouver plusieurs espèces à une altitude plus élevée. D’après les relevés de Gelting de 1930, seules huit espèces avaient été trouvées à 1 225 mètres et au-delà. En 2001, Schwarzenbach a découvert 28 espèces entre 1 225 et 1 320 mètres. »

Alors qu’il faudra encore un peu de temps aux scientifiques pour quantifier leurs résultats, ils s’attendent déjà à retrouver et confirmer cette même tendance. En moyenne, les espèces de l’île de Clavering se sont déplacées de 38 mètres plus haut en 70 ans. Cela représente une augmentation d’environ cinq à six mètres par décennie. C’est toutefois moins que d’autres espèces florales plus proches de nos latitudes. Des études ont en effet établi une augmentation de 28 mètres par décennie pour certaines espèces de montagne alpine. Si l’ampleur n’est pas la même, le schéma est similaire : monter en altitude pour survivre.

En outre, toutes les plantes ne s’adaptent pas de la même manière et certaines peuvent disparaître. Cependant, Rixen et son équipe restent prudents : « Nous n’avons pas trouvé certaines espèces, mais je ne dirais pas qu’elles ont disparu. Nous parlons d’un territoire assez vaste et si une plante n’est pas au même endroit, il est tout à fait possible que nous ne l’ayons tout simplement pas vue ». À l’inverse, l’équipe a découvert une nouvelle espèce, la renoncule (Ranunculus auricomus), qu’aucun des chercheurs précédents n’avait observée. Cette jolie fleur jaune pourrait donc être une nouvelle venue dans la région ou avoir été négligée auparavant.

Malgré les difficultés de mener de telles recherches dans les zones reculées de l’Arctique, l’étude des plantes constitue un bon indicateur du changement climatique. Et lorsque les chercheurs peuvent s’appuyer sur les travaux d’hier, l’intérêt est évident : “De telles recherches historiques constituent une ressource d’une valeur incroyable pour comprendre les changements qui se produisent sur notre planète et dans la nature. », relève M. Rixen. « En revenant au même endroit, on voit très clairement quelles plantes ont disparu et dans quelle proportion. Tout dépend bien sûr de la qualité des archives historiques et je pense que nous avons trouvé ici une très bonne source historique.”

Mirjana Binggeli, PolarJournal

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