Carence en vitamine D au Nunavik, l’alimentation moderne en cause | Polarjournal
La lumière est l’un des éléments essentiels à la synthèse de la vitamine D par la peau. Coucher de soleil au Nunavik. Image : Martin Tuchschere / Wikimedia Commons

Dans les villages et communautés du nord du Canada, une épidémie de carence en vitamine D vient d’être documentée par une nouvelle étude. Les solutions sont multifactorielles mais relèvent essentiellement de la souveraineté alimentaire des peuples autochtones.

Deux tiers des enfants du Nunavik entre 11 mois et quatre ans et demi manquent de vitamine D, tel est le principal résultat d’une étude publiée dans la revue Nutrition and Health le 31 janvier. Une statistique qui rejoint les niveaux de l’épidémie de carence en vitamine D touchant un milliard d’individus autour du globe, jeunes et adultes. Ce manque augmente le risque de rachitisme, d’infections respiratoires, de diabètes, de rhumatismes et même certains cancers.

L’étude utilise des données collectées dans des Centres de la petite enfance du Nunavik – organismes à but non lucratif subventionnés par l’État québécois – entre 2006 et 2010 et précise qu’il existe peu de données chez les communautés inuites du Canada. Le dépistage a été mené sur deux cent quarante-cinq enfants avec le consentement des parents obtenu par un formulaire rédigé en inuktitut, anglais et français.

L’un des cinq Centres de la petite enfance construits au Nunavik dans la région de Kativik entre 2012 et 2016. Image : MTA Architectes

La vitamine D est fabriquée par la peau quand elle est exposée au soleil ou assimilée par la digestion d’aliments la contenant. Huguette Turgeon O’Brien, chercheuse en sciences de l’alimentation à l’université de Laval et principale auteure de l’étude, nous explique par correspondance : « Les mois sans lumière sont les plus critiques étant donné que l’individu a accès seulement aux sources alimentaires de vitamine D pour combler ses besoins. »

Les sources de vitamines

Dans une étude publiée par l’université de Laval en 2012 concernant les habitants du Nunavik, on peut lire : « Comme de nombreux peuples indigènes dans le monde, leurs habitudes alimentaires ont changé au cours du 20e siècle, lorsqu’ils ont commencé à passer d’un régime traditionnel riche en nutriments à un régime centré sur les aliments achetés dans le commerce. »

Cette même étude prouve que la nourriture traditionnelle offre un bien meilleur apport nutritionnel que les aliments disponibles aujourd’hui dans les magasins du Nunavik. La vitamine D au Nunavik est contenue naturellement dans la viande et la graisse de phoque et de baleine, le poisson et la viande de caribou.

Le lait, les yaourts et les fruits sont également des sources de vitamine D disponibles dans les communautés du Nunavik, mais ils sont acheminés par le transport aérien depuis Québec ou Montréal. « Les parents ont pour leur part accès à des aliments un peu moins dispendieux à l’épicerie via le programme Nutrition Nord Canada. Par contre, il leur revient de choisir des aliments nutritifs au moment de faire leurs emplettes », explique Huguette Turgeon O’Brien.

Une diète conseillée

Pour les professionnels de la santé, un facteur s’ajoute encore, conduisant aux carences alimentaires détectées. Chez les personnes atteintes d’obésité, les vitamines sont diluées, d’une part parce qu’elles consomment des aliments moins vitaminés et de l’autre de la nourriture plus riche en sucre ou en gras, comme des plats préparés ou des sodas.

Lors de la période d’inflation qui a touché le Nunavut en 2012, les pilons de poulet à gauche coûtaient environ 45 euros et les tartes à droite 20 euros, le litre de lait coûtant cinq euros. Image : Facebook / Boblechef / BuzzFeed

« Si les besoins en vitamine D sont de 600 UI [unité internationale, NDLR] par jour, il faudrait par exemple consommer 6 tasses – c’est-à-dire six fois 250 ml ou six fois 100 UI – de lait par jour, pour satisfaire les besoins en vitamine D d’une personne âgée de 1 à 70 ans, si aucun autre aliment contenant de la vitamine D n’est consommé », estime Huguette Turgeon O’Brien.

Mais cette dose est difficile à absorber au quotidien. « Le ministère de la Santé a émis en décembre 2021 une autorisation de marché pour doubler cette quantité, soit de 200 UI par tasse, complète Huguette Turgeon O’Brien. Les fabricants devront se conformer à cette loi d’ici au 31 décembre 2025. » Mais elle prévient que le lait sera un peu plus cher que les autres et donc probablement moins consommé.

Une question est épineuse

Le programme Nutrition Nord Canada, du ministère fédéral des Affaires du Nord, a été vivement critiqué en octobre dernier dans un rapport du Comité permanent des affaires autochtones et du Nord. Il demande la réforme du programme en listant les recommandations suivantes :

  • la possibilité pour les autochtones et les habitants du Nord de décider de leur politique de souveraineté alimentaire ;
  • la création de nouvelles installations de transformation de viande et d’aliments traditionnels ;
  • la protection des zones naturelles ;
  • la reconnaissance de l’insécurité alimentaire dans le Nord.

En décembre dernier, Beth Kotierk, une avocate inuite du programme siégeant au conseil consultatif, a démissionné de ses fonctions. « J’ai eu l’impression que le travail accompli ne se traduisait pas par des changements substantiels dans le programme », a-t-elle déclaré à CBC News.

Beth Kotierk est avocate et membre du conseil d’administration de Qajuqturvik, une organisation qui promeut la souveraineté alimentaire au Nunavut et développe un système alimentaire local. Image : Qajuqturvik

L’étude d’Huguette Turgeon O’Brien et de ses collègues porte sur une période qui précède l’actuelle inflation et également les effets les plus marqués du réchauffement climatique. À l’heure actuelle, l’hiver doux et la fonte de routes hivernales sur lesquelles des camions traversent des lacs et des rivières gelées compromet l’approvisionnement de communautés dans le Nord du Canada.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers les études :

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