L’Arctique énergétique, décarbonation et source d’hydrogène | Polarjournal
L’énergie est partout et circule en masse, la question est de savoir comment l’exploiter tout en décarbonisant l’économie. Image : Jochen Vogt

Les communautés de l’Arctique se développent et ont besoin d’énergie. L’énergie décarbonée stimule l’intérêt des décideurs politiques et de certains investisseurs ou entreprises. Ces sujets ont monopolisé les débats autour de l’énergie lors de l’Arctic Circle Assembly.

Vendredi et samedi derniers, la décarbonation de l’économie a occupé une place de choix à travers de nombreuses allocutions au palais des congrès de Reykjavik, lors du rassemblement international des parties prenantes de l’Arctique. Décarboner, un maître mot qui n’invoque pas forcément les énergies renouvelables, le nucléaire attirant également l’attention des académiciens et des investisseurs. Elle pourrait participer à l’enrichissement du mix énergétique des populations du Grand Nord, qui n’ont pas de soleil en hiver et n’ont pas de vent en continu.

Leader dans la production d’électricité à partir du vent et des courants offshore, l’Écosse représentait le continent européen sans peine. Gillian Martin, du ministère écossais de l’Énergie, rappelle que le pays souhaite exploiter cette ressource et en exporter l’excédent. Pour cela, ils veulent produire de l’hydrogène et créer un carrefour commercial pour l’exporter, ne serait-ce que pour alimenter les Orcades, un archipel du nord de l’Écosse.

L’Écosse focalise sa stratégie énergétique sur l’éolienne offshore en substitution aux plateformes pétrolières. Image : Dugornay Olivier

Toujours en Écosse, Camille Dressler, directrice de la Fédération des îles écossaises, habite sur l’île d’Eigg, devenue autonome en énergie grâce aux panneaux solaires, aux micro-turbines hydroélectriques et aux éoliennes. L’île regroupe autant d’habitants qu’un immeuble de cent personnes. Chacun d’entre eux s’implique dans la stratégie énergétique de la communauté, en maîtrisant simplement la consommation électrique de chaque appareil, ou en réalisant eux-mêmes la maintenance des infrastructures énergétiques.

À une échelle plus grande, à Glasgow, l’Université d’Écosse cherche à optimiser la production d’énergie des immeubles et ils ont trouvé le moyen de chauffer un bâtiment grâce à l’énergie solaire. Leur installation n’utilise pas l’électricité comme intermédiaire entre le soleil et le radiateur, le panneau chauffe directement l’intérieur. Le gain permet de passer de 20 % à 60 % d’efficacité. De plus, les chercheurs ont intégré des éoliennes au bâtiment, dont la forme épouse l’accélération du vent autour de l’édifice.

Les besoins d’ici à 2040 vont tripler

Plus au nord, avec 80 % d’énergie renouvelable, les îles Féroé suivent le chemin de l’Écosse. Kári Mannbjørn Mortensen, chef du département de l’Énergie des Féroé, dévoile un projet de production qui vise à tripler la production actuelle de l’île avec des éoliennes flottantes. « On ne peut plus compter sur notre espace terrestre, il faut qu’on trouve d’autres espaces », explique-t-il. Conscient aussi que trop près des côtes, cela serait problématique pour les colonies d’oiseaux et pour le paysage.

« Quarante mille kilomètres carrés de la plateforme continentale est entre 100 et 200 mètres de profondeur, » décrit-il. Cet espace est propice aux projets. Mais les emplacements restent à définir, puisque les pêcheurs de l’archipel voient déjà cela d’un œil critique, avec la crainte que cela ne compromette les zones de pêche.

Parc éolien offshore dans l’Atlantique nord. Image : DR

L’autonomie énergétique des Féroé inclut la propulsion de ses navires. Ils estiment que les besoins d’ici à 2040 vont tripler et d’ici là le projet éolien pourrait atteindre 12 TW par an. C’est-à-dire quatre fois plus que l’autosuffisance. Le projet prévoit donc d’établir une liaison par câble sous-marin vers les Shetland et l’Islande.

Sur cette dernière, dépendante de l’aviation, un secteur qui a du mal à trouver des perspectives concrètes de décarbonation, Air Islande projette de réduire ses émissions de carbone d’ici à 2050. Seule piste concrète évoquée : le renouvellement de la flotte avec des avions neufs, 20 % plus efficaces, comme le Boeing 737 Max. Le grand espoir du secteur pour se sevrer du pétrole étant le développement d’une propulsion à hydrogène.

Tryggvi Þór Herbertsson, professeur d’économie à l’Université de Reykjavik, assure que l’Islande est bien placée pour produire de l’hydrogène. Rappelons que l’hydrogène n’est qu’un moyen de transport de l’énergie produite avec de l’électricité et qui produit ensuite de l’électricité. L’économiste prévoit une augmentation du prix de production de l’électricité en Europe. Or l’Islande et le Groenland sont parmi les régions du monde où la production électrique sera parmi les moins chères. Il précise que l’arrivée de l’hydrogène à large échelle en Europe devrait commencer d’ici à deux, trois ou quatre ans.

Le Groenland a également un potentiel énorme pour produire de l’électricité décarbonée. « Il y a un retournement presque cynique dans cette histoire, puisque c’est le réchauffement climatique qui rend la production d’électricité possible au Groenland, » remarque Tryggvi Þór Herbertsson.

La vidange des lacs glaciaires produit des quantités d’eau suffisantes pour soulever le glacier en s’écoulant sous sa base. Image : Poul Christoffersen

À son tour, le ministère groenlandais de l’Agriculture, l’Autosuffisance, l’Énergie et l’Environnement, estime que l’hydrogène est le pilier central du développement de l’île, avec un potentiel de 9,5 TW par an dans le centre de la côte ouest, et d’autre plus petits projets autour de Nuuk. Le ministère appelle d’ailleurs les investisseurs étrangers à investir.

Pallier les aléas des énergies renouvelables

La transition ne se fera pas sans investissement. C’est d’ailleurs ce que rappelle le projet de recherche sur les micro-réacteurs nucléaires de l’Université d’Anchorage en Alaska. Richelle Johnson mène des recherches en économie pour voir si l’utilisation de petits réacteurs nucléaires – comparables à ceux utilisés dans les sous-marins nucléaires – pourraient être utilisés en Alaska dans les communautés qui ne sont pas connectées au réseau national.

Elle identifie certains freins économiques, cependant, au développement de ces projets : la chaîne logistique du combustible est difficile à prévoir, l’impact de l’inflation l’est tout autant, et les matières premières comme l’hélium – indispensable pour certaines technologies – se raréfient. Autant de points qui compliquent l’évaluation du prix de ces dispositifs.

Point positif, le déploiement de l’énergie nucléaire dans les communautés du Grand Nord permettrait de pallier les aléas des énergies renouvelables et surtout de produire sur place des objets qui doivent aujourd’hui être importés et qui sont très chers aux habitant des régions reculées.

Pour approvisionner Nome, les scientifiques estiment qu’un microréacteur nucléaire de 5 à 7 MW devrait répondre aux besoins de la communauté. Image : City of Nome

Une transition qui ne peut être opérée sans l’implication des communautés locales qui n’ont aucune confiance en l’État concernant le nucléaire. Diane Hirshberg, anthropologue du projet, a sondé l’histoire et s’est rendu compte que des essais nucléaires dans la toundra, il y a plus de 50 ans, sont à l’origine de cette méfiance. « Ces histoires ont un impact énorme sur les discussions actuelles, » assure-t-elle.

C’est pourquoi, Haruko Wainwright, professeure au Massachusetts Institute of Technology, organise des camps d’été où les jeunes sont initiés aux mesures scientifiques de la qualité de l’eau. Ils apprennent à détecter des polluants, et gagnent ainsi une certaine maîtrise de leur environnement.

L’autonomie énergétique des communautés de l’Arctique et leur développement peut ouvrir des emplois et de l’activité dans ces régions. Sur l’île d’Eigg par exemple, les habitants forment la jeunesse au fonctionnement des installations électriques avec l’espoir qu’ils puissent rester et travailler dans ce secteur.

Camille Lin, PolarJournal

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