Regarder dans le passé pour prédire l’avenir | Polarjournal
Le camp de forage du projet SWAIS 2C dans l’Antarctique occidental. Photo : Craig Stevens, NIWA/Nouvelle-Zélande

Une carotte prélevée au fond de l’océan sous la banquise de Kamb, dans l’Antarctique occidental, devrait fournir des informations sur les périodes chaudes révolues et permettre ainsi de faire des prévisions plus précises sur l’élévation future du niveau de la mer. Une équipe internationale d’experts est actuellement en route vers le camp de forage glacé.

« SWAIS 2C, c’est-à-dire « Sensitivity of the West Antarctic Ice Sheet to Two Degrees of Warming », est le premier projet de cette envergure. Une entreprise qui n’est pas sans risque : l’équipe internationale, composée de plus de 120 chercheurs et experts en forage, va forer plus profondément que jamais dans la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental afin de pouvoir prélever un échantillon de sédiments dans le fond marin sous-jacent. Grâce à ces enregistrements géologiques du climat, l’équipe espère mieux comprendre à quelle vitesse la calotte glaciaire va fondre et dans quelle mesure le niveau de la mer va s’élever.

Concrètement, le projet cherche à répondre à trois questions :

  • La calotte glaciaire de l’Antarctique occidental s’est-elle étendue et retirée pendant l’Holocène – une période au climat relativement stable qui a marqué les 10.000 dernières années avant la révolution industrielle et le début de l’Anthropocène ?
  • Comment les calottes glaciaires marines réagissent-elles à un monde plus chaud de 1,5° à 2°C et de plus de 2°C qu’à l’époque préindustrielle ?
  • Quels sont les effets et conséquences locaux, régionaux et mondiaux de la réaction de la banquise antarctique à ce réchauffement ?
Pour pouvoir obtenir les enregistrements climatiques dans les sédiments marins, l’équipe doit d’abord forer à travers la banquise avec une foreuse à eau chaude. Graphique de l’étude : GNS Science

« Dans l’accord de Paris, nous nous sommes engagés à maintenir les températures moyennes mondiales bien en dessous de 2°C par rapport aux conditions préindustrielles. Les modèles nous disent que la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental s’effondrera si cette valeur est dépassée. Mais jusqu’à présent, il n’est pas possible de le confirmer – tout simplement parce que nous n’avons pas encore de preuves géologiques solides qui permettraient de définir le comportement de la calotte glaciaire lors des périodes chaudes passées », explique Johann P. Klages, géologue marin à l’Institut Alfred Wegener, co-coordinateur allemand et membre de l’équipe scientifique SWAIS 2C.

Il est prévu de forer jusqu’à 200 mètres de profondeur dans le fond marin. Mais avant de pouvoir prélever l’échantillon de sédiments, l’équipe doit franchir la plate-forme glaciaire de Kamb, épaisse de près de 600 mètres, et en dessous, environ 50 mètres d’eau océanique. Selon Andreas Läufer, géologue à l’Institut fédéral allemand des géosciences et des matières premières et coordinateur allemand et membre de l’équipe scientifique SWAIS 2C, ils utiliseront une foreuse spécialement conçue pour percer un trou de 35 centimètres de diamètre dans la glace.

« Nous y positionnerons ensuite un système spécial de carottage de sédiments au-dessus du trou, descendrons un système de forage creux au fond de l’océan et forerons en profondeur pour obtenir, nous l’espérons, de longs enregistrements de sédiments du passé de l’Antarctique occidental », explique Darcy Mandeno du Centre de recherche antarctique de Wellington, Nouvelle-Zélande, responsable des travaux de forage pour SWAIS 2C, dans un communiqué de presse de l’Alfred Wegener Institute.

Cette saison, le site de forage se trouve sur la banquise de Kamb (KIS), sur le bord ouest de la banquise de Ross. L’année prochaine, un autre forage devrait être effectué sur la marge de glace de Crary (CIR). Carte : Marlo Garnsworthy, SWAIS 2C

Ce type de recherche est essentiel pour que nous ayons une chance de nous adapter à l’élévation du niveau de la mer. L’ensemble de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental contient tellement de glace que si elle fondait complètement, le niveau de la mer s’élèverait de jusqu’à cinq mètres. Il est actuellement impossible de prédire avec certitude la quantité et la vitesse de la fonte de la glace dans l’Antarctique occidental. On sait seulement que certaines régions, comme le glacier Thwaites, fondent particulièrement vite. Cependant, on ne sait pas quand et dans quelles conditions climatiques les plateformes de glace, qui jouent encore un rôle de frein pour l’inlandsis, s’effondreront. Certaines réponses sont dans les sédiments des périodes passées, plus chaudes.

Des experts d’Allemagne, de Nouvelle-Zélande, des États-Unis, d’Australie, d’Italie, du Japon, d’Espagne, de Corée, des Pays-Bas et du Royaume-Uni travaillent sur ce projet. Parmi les quelque 35 instituts de recherche internationaux, on compte l’Alfred Wegener Institute, le Natural Environment Research Council britannique, le Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe, le Korea Polar Research Institute et d’autres.

Les travaux de terrain commenceront prochainement sur la banquise de Kamb et se poursuivront jusqu’en janvier 2024. Lors de la saison de terrain suivante, à partir de novembre 2024, les travaux débuteront sur la banquise de Crary.

Julia Hager, PolarJournal

Lien vers le projet : https://www.swais2c.aq

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