Les scientifiques brésiliens du gouvernement de Lula se déploient vers l’Arctique | Polarjournal
Ce n’est pas l’Arctique, le Brésil est présent en Antarctique depuis 40 ans et estime que le moment est venu de regarder vers le Nord. Image : Marinha do Brasil

Le Brésil avance sur le sujet polaire et sa capacité de déploiement. Il publie pour la première fois un programme scientifique décennal incluant l’Arctique. Cet été, une première expédition polaire brésilienne dédiée aux sciences naturelles a eu lieu au Svalbard. Quelques pas de plus pour sa candidature au Conseil de l’Arctique, avec peut-être le Portugal.

La science élargit les frontières, le Brésil s’intéresse à l’Arctique. Mi-août, le ministère brésilien de la Science, la Technologie et l’Innovation publie son plan décennal de déploiement en Antarctique. Avec un petit ajout cependant, le document étant clôturé par un chapitre qui s’intitule « Une nouvelle Frontière pour la science polaire Brésilienne », dédiée à l’Arctique. Force de ses 40 ans de recherche sur la station Commandante Ferraz, située sur l’île du Roi-George, la communauté scientifique polaire brésilienne estime qu’il est temps de franchir l’équateur.

Le chapitre en question prend l’apparence d’un petit plaidoyer scientifique, mais pose bel et bien les bases d’une ambition plus large. L’éloignement de l’Arctique avec le Brésil ne semble pas un obstacle. Au contraire, les fonctionnaires des académies des grandes villes comme Rio de Janeiro, Rio Grande, Minas Gerais et Sao Paulo, le ministre de la Science, la Technologie et l’Innovation et le président Luiz Inácio Lula da Silva – signataire du document-, expliquent que les changements climatiques sont plus rapides en Arctique que dans le reste du monde, qu’ils ont des impacts sur la culture, la santé, le bien-être et l’économie globale, et qu’ils affectent déjà le climat tropical du Brésil.

Les questions scientifiques

Ils signalent donc l’intérêt scientifique de suivre l’évolution de l’Arctique. Par exemple, l’évolution de la limite entre la toundra et la forêt boréale, du pergélisol, des sources de méthane et des populations de poissons pélagiques. Ils s’intéressent au phénomène d’atlantification de l’océan Arctique et d’ouverture de voies maritimes, ainsi qu’aux tensions sur les ressources en pétrole, gaz et minerais.

Cette ambition n’est pas neuve. En 2021, dans ce pays d’Amérique latine, un groupe de travail sur les activités en Arctique, dépendant d’une commission interministérielle sur les ressources maritimes a été créé. Le Brésil adhère en outre au traité du Svalbard et ne fait pas partie des membres observateurs du Conseil de l’Arctique. Mais elle se concrétise : « Début juillet, ce que l’on peut considérer comme la première expédition scientifique brésilienne a eu lieu en Arctique », nous explique Raphael Fernandes Vieira, chercheur et coordinateur du groupe d’étude brésilien en relations internationales « Malouines, Antarctique et Atlantique Sud ».

La station Comandante Ferraz sur l’île du Roi-Georges au Nord du détroit de Bransfield dans les îles Sheltland du Sud. Image : Marinha do Brasil

Les scientifiques brésiliens collaborent déjà à des programmes de recherches polaires sur des sujets arctiques, mais cette fois-ci l’organisation et la coordination sur le terrain ont été 100 % nationales et en collaboration avec leurs diplomates. L’expédition a eu lieu en Norvège et au Svalbard. Les chercheurs ont mené l’enquête scientifique sur des problématiques en botanique, microbiologie et glaciologie. Un premier pas pour accéder à une légitimité en Arctique et devenir un pays observateur. « Ce n’est peut-être pas la meilleure période pour l’économie du Brésil, mais le changement climatique est tel que l’on ne peut pas attendre. Les évolutions géopolitiques actuelles peuvent affecter la stabilité de l’Arctique, c’est le moment avant que tout tombe en morceau, estime-t-il. Cela dépend aussi des volontés politiques, cela peut changer d’un gouvernement à l’autre, mais les scientifiques et le gouvernement actuel sont intéressés. »

L’ambition politique

C’est ce que confirme Christophe Ventura, spécialiste de l’Amérique latine à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques, en France : « L’objectif du Brésil, c’est de devenir une puissance environnementale globale, et de rappeler qu’il n’existe pas de solutions globales climatique et alimentaire sans le Brésil. Ils se sont fixé des objectifs environnementaux, sans aller au détriment des conditions sociales. Ils veulent devenir les champions du développement durable et s’attaquer à la pauvreté et au chômage. »

Pour réaliser cette feuille de route, qui a été un argument de campagne de Luiz Inácio Lula da Silva contre Jair Messias Bolsonaro, l’Arctique est incontournable. Les enjeux polaires montent en puissance et nouent entre eux les enjeux du climat, des ressources et géostratégiques. « Une puissance se mesure dans sa capacité de projection, militaire ou de soft power par exemple, mais également son positionnement géopolitique, » rappelle Christophe Ventura. Le Brésil devrait donc trouver des partenaires pour se déployer en Arctique.

Trouver des partenaire

Le Portugal est aussi en lice pour l’Arctique : cette année, une résolution a été adopté par l’Assemblée et un groupe de travail interministériel est en cours de formation pour définir une stratégie polaire. Sa position stratégique dans l’Atlantique nord en fait un des bastions de l’OTAN avec notamment les bases navales américaines aux Açores. « Le Portugal pourrait être partenaire du Brésil, nous avons aussi des relations bilatérales avec le Canada, l’Islande et la Norvège. Les scientifiques portugais travaillent par exemple au Canada et au Groenland. » nous explique Céline Rodrigues, chercheuse en relations internationales, spécialiste de l’Arctique.

Le Brésil entretient également ses relations avec la Russie, la Chine – qui a participé à la reconstruction de leur station polaire après un incendie en 2012 -, et reste très proche d’autres nations polaires d’Amérique du Sud comme le Chili et l’Argentine.

En même temps, la Russie a annoncé son intention de créer son propre institut polaire à Barentsburg et a invité les pays membres du BRICS à y participer. Cela irait tout à fait dans le sens des plans brésiliens pour l’Arctique. Image : Sergey Dolya

La Chine mène une politique de déploiement dans l’Arctique, avec deux brise-glaces en opération et un troisième navire océanographique de capacité glace en construction. Sera-t-elle capable d’emmener le Brésil en créant des liens arctiques ? Ou le Brésil sera-t-il capable de créer un pont diplomatique entre l’Occident et les membres du BRICS en Arctique ? Des questions qui dépendent de la volonté du Conseil de l’Arctique, pour qui les priorités immédiates restent le dialogue, l’environnement, la sécurité et le climat.

Camille Lin, PolarJournal

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