En mue, les éléphants du mer du sud jeûnent-ils vraiment ? | Polarjournal
Cap Digby, dans le nord de la façade est de la péninsule Courbet sur l’archipel de Kerguelen. Image : Laura Charlanne / Institut Polaire Français

Les éléphants de mer du sud ne jeûnent pas complètement pendant la période de mue drastique, mais ils pourraient très bien aller dans l’eau, boire et peut-être même chasser, contrairement à ce qui a été établi jusqu’à présent.

L’idée répandue décrivant les éléphants de mer du sud en train de jeûner sur les plages de l’océan Austral pendant leur mue est devenue inexacte depuis la sortie de l’étude de Laura Charlanne et ses collègues dans Communication Biology ce 8 janvier. Les biologistes affirment, après une longue période d’observation, que certaines femelles partent en mer pendant la mue, « à 30 kilomètres des côtes pour celle qui est allée le plus loin », précise Laura Charlanne, doctorante à l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien de Strasbourg.

Ceci remet en question le postulat de base, selon lequel il est plus coûteux pour les éléphants de mer en mue de maintenir leur corps à 36°C dans l’eau de mer que sur la plage où ils resteraient pour s’économiser. « C’est effectivement le moment le plus coûteux en énergie, ils renouvellent leur épiderme et leur pelage », explique-t-elle. Pour cela, ils maintiennent une circulation sanguine élevée à la périphérie de leur corps pour stimuler la croissance cellulaire.

Au cours de son doctorat, Laura Charlanne a passé deux périodes de six mois à étudier les éléphants de mer à Kerguelen, grâce notamment au soutien logistique de l’Institut Polaire Français. Image : Laura Charlanne / Institut Polaire Français

Au cours de cet afflux sanguin, les perditions de chaleurs sont importantes. « Lorsqu’il fait froid, on a les extrémités qui blanchissent, signe de vasoconstriction, ce qui limite les pertes de chaleur », rappelle-t-elle. À l’extérieur, la température est beaucoup plus basse que leur température corporelle.

Malgré cela, les femelles vont dans l’eau et pourraient même s’hydrater. L’équipe de recherche remarque qu’elles s’immergent quand il y a moins de vent, une température plus élevée, et une insolation plus forte. « On peut supposer qu’elles vont se rafraîchir », commente Laura Charlanne.

Pour en avoir le cœur net, les auteurs auraient voulu observer un « coup de chaud » dans les capteurs internes ingérés par les animaux, mais « on n’a pas vu d’hyperthermie », complète-t-elle, remettant en question le dispositif de mesure. En 2017-2018, Laureline Chaise (co-autrice) avait montré que la répartition des éléphantes de mer en période de mue dans les habitats autour des plages – les trous de terre, les souilles et l’herbe -, ainsi que les agrégations d’individus, dépendaient des variables environnementales comme la température.

Les éléphantes de mer vont non seulement dans l’eau, mais en plus, elles plongent, parfois jusqu’à 20 mètres et « leurs plongées ressemblent à des chasses », décrit Laura Charlanne. Elles avalent de l’eau et peut-être des proies en plus de s’hydrater. « Leur système de régulation est adapté, précise la chercheuse, on a déjà observé ces animaux boire de l’eau de mer ou de l’eau douce. » Mais celles-ci s’hydratent principalement avec l’eau contenue dans leurs réserves de graisse accumulées en chassant en mer.

« Les jours où il faisait chaud, on en a trouvé certaines dans l’eau, mais c’était difficile de voir leur stade de mue, parce que mouillées, on ne peut pas distinguer l’ancienne de la nouvelle peau », explique Batshéva Bonnet, vétérinaire en mission pour cette étude en 2017 à Kerguelen. C’est pourquoi les femelles ont été aussi équipées de balises pour suivre leurs mouvements. Des équipes opéraient des contrôles visuels quotidiens pour récupérer les balises avant qu’elles ne repartent en mer à l’issue de la mue.

Ce renouvellement complet de l’épiderme et des poils, courts, reste un peu mystérieux, ainsi que l’utilité du pelage. « Ont-ils un rôle d’isolant thermique ? Est-ce que ça les protège du sel quand ils nagent ? Dans tous les cas, ils perdent poils et épiderme, c’est pourquoi on parle de mue drastique », explique Laura Charlanne.

C’est la seule espèce de cette famille de pinnipède qui fait cette mue en environnement polaire. Un milieu changeant « drastiquement », sous l’effet des dérèglements climatiques. « Pour l’instant, il n’y a pas de conséquence sur leur condition corporelle en fin de mue. Des conditions très importantes, pour l’effort de nage, la flottabilité et le succès de chasse des six mois suivants », ajoute-t-elle.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers l’étude : Charlanne, L.M., Chaise, L., Sornette, D., Piot, E., McCafferty, D.J., Ancel, A., Gilbert, C., 2024. Breaking the fast: first report of dives and ingestion events in molting southern elephant seals. Commun Biol 7, 1–12. https://doi.org/10.1038/s42003-023-05720-2.

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