Cryosphère : un nouveau sommet international pour quoi faire ? | Polarjournal

Dans cette tribune, également publiée aujourd’hui dans le journal français Les Echos, Geneviève Pons et Jérôme Chappellaz rappellent l’importance de sommets tels que One Planet – Polar Summit qui se tient actuellement à Paris. La cryosphère est en détresse et les actions collectives ainsi que le soutien à la recherche scientifique dans les régions polaires sont cruciaux.

Vagues de chaleur inédites et températures records ont conduit récemment à des méga-feux dévastateurs et de funestes sécheresses dans de nombreuses régions du monde. Sous les plus hautes et les plus basses latitudes, tout comme en altitude, la cryosphère – cet ensemble complexe de neiges, de calottes glaciaires, de glaciers, de glaces de mer et de pergélisol – subit d’importantes pertes de masse. Elle pourrait atteindre désormais des points de non retour.

A la veille d’un nouvel événement international impulsé par le président Macron, l’urgence de réunir les chefs d’Etat prend tout son sens. Mais qu’est-ce qu’un tel sommet peut-il encore apporter ? En réunissant scientifiques, peuples autochtones, ONG, communautés locales, explorateurs, opérateurs et dirigeants mondiaux, le One Planet-Polar Summit – prévu du 8 au 10 novembre à Paris, doit permettre de délibérer sur les redoutables défis auxquels font face ces régions glacées, qui représentent environ 10% de la surface de la Terre.

Plus que jamais, c’est l’importance de la cryosphère qui devra être soulignée : régulant les températures globales, ses vastes étendues blanches agissent comme un bouclier naturel, renvoyant vers l’espace une partie de l’énergie solaire (effet Albédo). Les calottes et les glaciers, véritables châteaux d’eau, servent quant à eux de réservoirs pour 70% de l’eau douce de la Terre.

La fonte de la cryosphère représente un grand défi pour l’humanité. Entre les menaces d’inondations et l’élévation du niveau de la mer, les pénuries d’eau douce toucheraient des milliards de personnes dans le monde. Image : Julia Hager

La communauté scientifique, hélas familière des scénarios les plus pessimistes, alerte encore : une récente étude révèle le net recul des plateformes de glace de l’ouest Antarctique1 et la glace de mer autour du continent blanc n’a jamais été aussi réduite que durant le dernier hiver austral. En Arctique, la glace de mer a atteint sa sixième plus faible étendue estivale.

Selon le GIEC, les glaciers en dessous de 3 500 m d’altitude dans les Alpes et 5 400 m dans les Andes auront disparu d’ici 2100. Au niveau mondial, la moitié des glaciers de montagne n’existera plus, malgré la toujours attendue réduction des émissions, et en dépit d’un maintien du réchauffement global à +1,5°C. Les “neiges éternelles du Kilimandjaro” auront, elles, disparu dans 15 années seulement.

Face à un tel scénario, que peut-on attendre d’un Sommet dont le caractère restera non contraignant pour les autorités internationales ? Quelles solutions et actions immédiates parviendra-t-il à proposer ? Rappelons alors que la dégradation rapide de la glace polaire et de montagne aura des impacts potentiellement désastreux sur l’ensemble de la planète. Deux milliards d’entre nous dépendent de l’eau de montagne. Des milliards de personnes seront impactées par les pénuries d’eau, l’élévation du niveau de la mer (1 m en 2100 en moyenne), les inondations et autres phénomènes climatiques extrêmes. Les populations côtières, de plus en plus nombreuses, et les communautés arctiques sont en première ligne.

Alors que pouvons-nous attendre d’un tel sommet et quelles solutions et actions immédiates pourrait-il proposer ?

Soutenir de concert l’adaptation et le principe de précaution environnementale

Unanimes, les scientifiques rappellent que la réduction des émissions de gaz à effet de serre reste la priorité absolue. Mais deux autres actions doivent être entreprises. D’une part, le développement de stratégies collaboratives doit renforcer la résilience des zones terrestres et littorales. Pour les espaces marins polaires, cela implique une réduction drastique des activités de pêche industrielle, de tourisme et de navigation qui ont un impact sur des écosystèmes uniques.

D’autre part, alors que les Etats peinent à négocier dans d’autres enceintes sur les questions climatiques ou de biodiversité (COP, CCAMLR,…), un changement de paradigme basé sur le principe de précaution environnementale doit l’emporter, y compris pour la cryosphère. Un niveau de protection forte devrait s’appliquer désormais à l’ensemble des écosystèmes ultra vulnérables liés à la cryosphère, à l’instar des aires marines protégées. Quant aux soutiens financiers aux activités lucratives sur les glaciers en perdition, ils doivent tout simplement cesser.

Financer notre capacité à anticiper

La cryosphère n’est pas seulement précieuse pour sa fonction vitale. Elle est aussi cruciale pour les données scientifiques uniques qu’elle nous offre. C’est dans les couches des glaces anciennes que se trouvent les secrets de nos climats passés, déterminants pour la compréhension des ères à venir. C’est cette mémoire de la glace qu’il nous faut préserver d’urgence pour les futures générations de scientifiques.

En avril dernier, la Fondation Ice Memory a lancé sa huitième opération de forage sur le champ de glace Holtedahlfonna, près de Ny-Ålesund au Svalbard. Une équipe internationale de scientifiques a prélevé deux carottes de glace de 125 mètres de long chacune afin de mieux comprendre le phénomène d' »amplification arctique », selon lequel les régions polaires se réchauffent plus rapidement que le reste du monde. Graphique : Fondation Ice Memory

Nous ne savons pas tout encore, et l’ampleur et la rapidité des évolutions de la cryosphère dépassent nos capacités d’anticipation. Il est donc indispensable d’accroître notre capacité à évaluer les possibles points de bascule. Seule la recherche pourra guider nos stratégies d’adaptation.

C’est pourquoi il est impératif de sécuriser les financements appropriés en France mais aussi aux niveaux européen et international pour mener à bien des projets de recherche collaboratifs. Les gouvernements présents lors de ce sommet doivent s’engager de toute urgence pour la coopération scientifique.

Le forage de carottes de glace est important pour comprendre le passé de notre climat et mieux prévoir l’avenir. La Fondation Ice Memory a extrait des carottes qui seront conservées pendant des siècles. Les futures générations de scientifiques auront ainsi accès à cette carotte de glace de haute qualité pour étudier le climat passé de notre planète et anticiper les changements à venir. Même longtemps après la disparition du glacier due au réchauffement climatique. Image : Riccardo Selvatico – Fondation Ice Memory

La France doit montrer l’exemple en remettant à niveau son soutien à la recherche aux pôles. La première Stratégie Polaire Française date d’avril 2022. Il est grand temps de la concrétiser en lui attribuant les financements nécessaires. Une proposition de loi trans-partisane est portée en ce sens par de nombreux députés.

Enfin, ce sommet international ne sera pertinent que s’il se base sur l’intégration des connaissances traditionnelles et la reconnaissance des droits des peuples autochtones. Vivant dans des régions particulièrement exposées au changement climatique, ces peuples gardiens de savoirs, doivent participer à la conception et à la mise en œuvre des stratégies d’adaptation.

Alors que nous atteindrons bientôt des points de non retour, ce Sommet doit renforcer notre capacité d’action collective, grâce à la recherche, et contribuer à imposer le principe de précaution pour la cryosphère pour un avenir plus serein de nos enfants sur cette planète.

Geneviève Pons et Jérôme Chappellaz, co-présidents du Conseil consultatif des ONG et du Comité du Conseil Scientifique du One Planet – Polar Summit

En savoir plus sur le sujet

Print Friendly, PDF & Email
error: Content is protected !!
Share This