Table ronde sur le métier de guide polaire | Polarjournal
Traversée d’une rivière glaciaire sur l’île de Géorgie du Sud en direction de la colonie de manchots de la baie de St Andrews. Ligne de vie installée par les guides pour aider les passagers à y accéder. Image : Camille Lin

La Chaire Enjeux Polaires menée par Anne Choquet et les formations supérieures maritimes de Brest se sont penchées sur le métier de guide polaire, au cœur de la controverse sur la pratique du tourisme en Arctique et Antarctique.

Mardi dernier, à l’Institut Universitaire Européen de la Mer, des guides polaires ont parlé de leur métier au cours d’une table ronde ouverte au public et surtout aux étudiants des écoles d’ingénieurs et des universités. Ces derniers ont pris part à une formation d’une semaine qui permet de « déconstruire les a priori que l’on peut retrouver dans les médias sur les régions polaires », explique Anne Choquet, enseignante et chercheuse en droit et représentante française aux réunions consultatives du Traité sur l’Antarctique.

Futurs ingénieurs des mines, polytechniques, navals, télécoms, gestionnaires des littoraux et politiques, sont venus découvrir les enjeux, et en particulier pour ce jour, ceux du tourisme polaire. Après le lancement de la discussion, le débat tourne autour du rêve et des quêtes qui attirent les touristes. « Voir le renard, l’ours, dormir près d’un glacier, l’entendre vêler, le paysage, l’ascension d’un sommet… », énumère Lucien Chaillot, responsable des opérations pour la compagnie française 66°N. Ou plus largement, « il y a ces quêtes de l’origine, spirituelle et sociale avec la valorisation de soi, par exemple les selfies », explique Marie-Noëlle Rimaud, enseignante-chercheuse en droit et tourisme du Groenland.

Les guides partagent aussi une attirance pour ces régions. « Il y a des plages avec des éléphants de mer et des manchots, et on a le sentiment qu’ils vivent leur vie sans regarder si vous êtes là, quelque chose que nous n’avons pas en Europe », explique Alain Bidart, guide polaire sur des navires de croisière, se remémorant ses meilleurs souvenirs. Lucien Chaillot quant à lui évoque les tours de garde autour du camp pour surveiller l’ours : « on est seul face à l’immensité, à ce moment parfois je me demande, jusqu’à quand j’aurais envie d’y aller. »

Période de mue pour les manchots royaux en périphérie d’une colonie, destination régulière pour les navires de croisières. Image : Camille Lin

Pour Marie-Noëlle Rimaud : « ce sont les pique-niques phoque et flétan avec les inuits de la région de Ilulissat », qui la motivent. Elle met en garde sur les dérives de certains produits touristiques proposés. « Les inuits ont un patrimoine linguistique fabuleux au sujet des traîneaux, le résumer à une balade de 10 minutes, c’est dommage », constate-t-elle, incitant à « modifier les discours de départ. » C’est-à-dire les catalogues qui véhiculent des images décalées de la réalité.

« Les guides doivent dans ces endroits qui font rêver et qui sont inaccessibles être maîtres du jeu et permettre de replacer justement le curseur entre le rêve et la réalité », explique Éric Bayard, président du bureau des guides polaires et professionnel de l’encadrement d’excursions sportives. Effectivement, les séjours sont contraints par des normes environnementales et sécuritaires que les voyageurs n’ont pas forcément en tête lorsqu’on leur vend des voyages.

Echouement du navire Ocean Explorer dans un fjord groenlandais en 2023. Image : Arktisk Kommando

L’audience questionne les moyens légaux et contraignants dont ils disposent pour faire respecter les règles de fréquentation des sites. Pour la croisière, il existe des distances à respecter pour approcher les animaux, « ce sont les chefs d’expédition et le commandant qui peuvent interdire à une personne de débarquer », explique Alain Bidart, estimant que les excès sont commis par des passagers isolés, ou encore des voiliers de passage.

Pour les autres guides, dont la pratique est essentiellement terrestre, en ski, en raquette, en traîneau… « Cela repose sur le leadership de l’encadrant, c’est à lui de jauger s’il doit exfiltrer un client parce que son comportement remet en cause l’excursion », expose Lucien Chaillot.

L’objectif des guides polaires sur le terrain est de combiner les objectifs de sécurité avec les contraintes légales et environnementales, et de transmettre une passion pour la faune et la culture indigène, à travers les techniques de construction des campements par exemple. Image : Michael Wenger

Enfin, Anne Choquet rappelle que pour les compagnies françaises en Antarctique, les Terres Australes et Antarctiques Françaises délivrent des autorisations et vérifient les risques environnementaux que représente une compagnie. « Ils sont très vigilants sur le comportement des années précédentes, commente-t-elle. Ils peuvent distribuer des amendes financières et des interdictions de repartir. »

L’auditoire renchérit sur la question de mise en place de quotas en prenant l’exemple de la fréquentation des sites en Islande. « Le plus difficile, ce serait de les mettre en place, mais sur l’acheminement du voyageur, il y a une carte à jouer », répond Lucien Chaillot. L’activité de 66°N se fait essentiellement en Scandinavie et au Svalbard. Pour l’Antarctique, la discussion se situe au niveau du Traité. « Il faut convaincre tous les États et certains ont des besoins économiques », commente Anne Choquet.

La table ronde est intégrée à la Chaire Enjeux Polaire, qui a notamment pour projet la mise en place d’un diplôme de guide polaire à la hauteur des standards internationaux. Et les discussions auront permis à l’audience de développer une culture polaire, comme cet ancien élève de passage qui part travailler dans le secteur diplomatique au Danemark.

Camille Lin, PolarJournal

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