L’ours polaire, une icône usée à restaurer | Polarjournal
L’auteur de ce livre apprécie particulièrement la ville de Churchill, dans la province canadienne du Manitoba, pour se rapprocher des ours polaires. Image : Acte Sud

L’ours polaire dessine les contours et remplit l’Arctique de son errance, jusqu’à toucher l’imaginaire des êtres humains, qui vivent auprès d’eux. Au point d’incarner les changements et la disparition des glaces pour un public étranger. Son image est utilisée à des fins plus ou moins nobles. Dans son essai en Français, Rémy Marion tente de rendre au « vagabond des glaces » sa démarche naturelle.

Poil creux, délicat à la musculature enrobée de graisse. Quand l’ours polaire et l’être humain se rencontrent, les issues sont multiples, des plus merveilleuses aux plus fatales. En août dernier, au Svalbard, un ours qui rendait visite à quatre personnes réfugiées dans la cabane de Haugenhytta dans le fjord Krossfjorden, a été abattu par plusieurs coups de feu alors qu’il tentait d’enfoncer la porte. La charge de culpabilité potentielle qui pesait sur le groupe a été abandonnée par le gouverneur du Svalbard le 25 janvier dernier. Cet événement suivait la mort de la fameuse ourse Frost et, comme toute mort d’ours liée à la présence humaine, celle-ci a été soumise à enquête. Ces cas sont très anecdotiques en Arctique, l’animal en question n’est pas « une bête féroce », comme le rappelle Rémy Marion dans un essai fourni qui revisite l’Arctique en se plaçant à la lisière entre civilisations humaines et territoire de l’ours polaire. Il paraîtra en Français le 21 février dans la collection « Monde sauvage » chez Actes Sud sous le titre L’ours polaire, vagabond des glaces.

L’essai est didactique, étayé de références scientifiques, historiques et littéraires, cousues à la main par des récits de rencontres entre cet animal et l’auteur. Le premier chapitre est une initiation pour entrer dans le cercle des naturalistes polaires. On accède ensuite rapidement à un étude critique nourrie d’informations sur la vie du plus carnivore des ours, dont les représentations seraient pétries de préjugés. Rémy Marion s’efforce de détricoter les clichés véhiculés par cette « icône usée », en passant par l’observation de son mode de vie.

L’ours polaire a un odorat décuplé et marche perpendiculairement au vent pour scruter le paysage olfactif. Image : Maud Lénée-Corrèze

Sur le banc des accusés, une somme de communications autour de l’ours, du « fauve féroce des explorateurs » aux stratégies d’ONG pour avertir sur le climat, en passant par les propagandes étatiques, les slogans publicitaires, et la distorsion des sphères médiatiques. Autant de récits imprimés sur la peau de l’ours que l’auteur souhaite dissoudre. Se joignent à eux les zoos qui l’ont transformé en produit d’appel sous couvert de sensibilisation au public. « Le réchauffement climatique va modifier notre environnement et celui des ours polaires encore plus vite, alors à quoi bon vouloir les conserver indéfiniment captifs si la banquise a disparu ? », écrit-il.

Lui qui est si bien adapté au froid, à la pointe parmi les espèces d’ours, il existe libre et sauvage, grâce entre autres à quantité d’innovations biologiques, résultat de l’évolution. Le livre est un véritable outil d’apprentissage, et explore par toutes les disciplines ce qui pourrait être un grand thème transversal aux programmes de l’éducation nationale. Un portail vivant vers la biologie, la physique, l’écologie… et la culture inuite, dont les représentations pourraient remonter à plus de 4 000 ans. Rémy Marion nous mène sur les traces d’un ours marcheur, nageur et même plongeur, jusqu’au creux des tanières où les ourses et oursons passent l’hiver.

La rencontre avec l’ours est une expérience qui, comme toute autre, vient enrichir le patrimoine émotionnel des individus, des peuples et des cultures. Image : Dr. Steven Amstrup / Polar Bear International

Bout au vent contre le récit de reportage animalier où les ressorts de la survie se cachent derrière chaque bouleau de la forêt boréale, après chaque saule des plaines rases de la toundra et en bordure du blizzard des îles François Joseph, l’auteur plaide en faveur de l’oisiveté, le décrivant comme un « flâneur » qui « butine les odeurs » : un Diogène. Rémy Marion réfute l’idée de leur donner des prénoms qui gâchent l’expression de leurs caractères s’appréciant à l’observation. « Les ours polaires ont des personnalités, c’est certain : aventuriers, peureux, curieux ou indifférents, timides ou extravertis. »

Ce livre est l’occasion d’utiliser l’image usée de cet animal pour en refaire un portrait complet, sans pour autant le mettre au centre de l’Arctique. Rémy Marion assume un parti pris : son amour pour cet animal et son désir de lui rendre la liberté. « Il erre comme s’il flânait sur les grands boulevards d’une banquise instable, insouciant, et c’est beau ! »

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers le livre : Rémy Marion, L’ours polaire, vagabond des glaces, Acte Sud, Essais, Collection Mondes sauvages, 21 février 2024, 22,50 euros.

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