« La coopération et la diplomatie scientifique sont des valeurs fondamentales du Conseil de l’Arctique » | Polarjournal

Serafima Andreeva est chercheuse en sociopolitique à l’Institut Fridtjof Nansen. Cet organisme de recherche travaille sur les questions environnementales, le droit et la politique de gestion des ressources. Le centre est situé à Lysaker, près d’Oslo, sur l’ancien domaine de l’explorateur Fridtjof Nansen. Serafima Andreeva est spécialisée dans le fonctionnement du Conseil de l’Arctique et dans la politique climatique russe. Son dernier article, publié le 21 avril dans la revue scientifique The Polar Journal en collaboration avec Svein Vigeland Rottem, met en lumière les raisons pour lesquelles le Conseil de l’Arctique a survécu jusqu’à aujourd’hui. La semaine dernière, le Conseil de l’Arctique a également publié son rapport d’activité pour 2023, à mi-parcours de du mandat norvégien, après un an de présidence du Conseil. Un mandat qui a été fragilisé par l’arrêt des discussions entre les États occidentaux et la Russie. Le rapport rappelle l’importance des groupes de travail et la reprise des collaborations scientifiques et personnelles, ainsi que l’émergence de projets « dépolitisés » autour des incendies et de la jeunesse dans l’Arctique. Au cours d’un entretien avec PolarJournal, Serafima Andreeva, revient sur les priorités de la Norvège pour ce mandat.

Quelles sont les difficultés que rencontre le Conseil de l’Arctique actuellement ?

Les États occidentaux membres du Conseil de l’Arctique (AC) ont déclaré une pause temporaire dans leur participation en mars 2022, et même si l’avenir reste incertain, le Conseil de l’Arctique a repris certaines activités et le dialogue coopératif après cette pause. Depuis la suspension de la coopération avec la Russie et l’arrêt brutal des échanges scientifiques en 2022, le Conseil de l’Arctique s’est dédié au sauvetage du forum. Après le transfert de la présidence de la Russie à la Norvège, l’objectif est de faire en sorte que le dialogue porte sur la manière dont le Conseil de l’Arctique fonctionnera, et pas seulement sur sa « survie ».

Au début, la question était de savoir comment s’assurer que les groupes de travail restent intacts, d’identifier les projets qui pouvaient rester actifs et de comprendre comment s’assurer que les groupes de travail continuent à fonctionner dans une certaine mesure. Bien que la Russie soit un acteur clé dans la liste des projets menés par les groupes de travail, il existe encore une marge de manœuvre pour la coopération au niveau des projets dans lesquels la Russie a un rôle moins affirmé. Pour ces derniers l’activité revient lentement à la normale. Tout n’est pas lié à la Russie, mais il est important qu’ils reprennent le dialogue.

Est-ce qu’un forum alternatif est apparu en Arctique ?

Les discussions en dehors du Conseil ont parfois proposé les BRICS comme une organisation qui pourrait jouer un rôle plus important dans la coopération russe dans l’Arctique si le Conseil de l’Arctique devait être considérablement affaibli. Cependant, la survie et le fonctionnement du Conseil de l’Arctique sont dans l’intérêt de tous les États de l’Arctique, et les BRICS ne constituent donc pas vraiment une alternative dans ce sens, et ils sont encore loin de pouvoir remplacer le Conseil de l’Arctique ou d’offrir une alternative à la Russie. Pour ce pays, le plus important de pouvoir vérifier que les forums de coopération internationale servent ses intérêts dans la région et s’il peut y exprimer ses priorités.

La navigation polaire est au cœurs des préoccupations russes. Image : Novatek

Selon Morten Høglund, l’actuel président de l’AC pour deux ans, les discussions progressent lentement, mais il n’y a pas d’initiative immédiate et pressante de la part de la Russie pour quitter la plateforme. D’autres types de coopération bilatérale pourraient exister, mais rien d’équivalent au AC, qui est très unique en termes d’influence et de travail scientifique de longue haleine. Je ne vois donc pas de concurrent à ce forum.

Quelles sont les priorités de la Norvège qui préside l’Arctique pour un an encore ?

Au départ, c’était de s’assurer que le Conseil de l’Arctique survive, puis cela a changé lentement au cours de la présidence, vers un discours autour de son fonctionnement. Mais les priorités norvégiennes ne tranchent pas avec les précédentes présidences, elles sont aussi basées sur la déclaration de Reykjavik en 2021, où il était possible de travailler par consensus. Cette vision est donc toujours très importante.


« La Russie risque de dire ‘vous n’êtes pas intéressés par nos objectifs, vous ne servez pas notre intérêt, donc au revoir’. »


L’aspect scientifique des groupes de travail est également resté au cœur des préoccupations depuis le début, car le Conseil de l’Arctique a été créé [en 1996, ndlr] sur la base de la Stratégie de protection de l’environnement arctique (AEPS), qui est très fortement axée sur la science. La coopération et la diplomatie scientifique sont donc des valeurs fondamentales de l’Arctic Council.

Comment l’AC essaye d’améliorer la situation ?

Il était très difficile d’organiser une réunion, étant donné la pause et la situation actuelle, donc la présidence norvégienne se concentre sur les conversations bilatérales entre les États de l’Arctique, mais la principale façon de s’assurer que le Conseil de l’Arctique continue de fonctionner reste la coopération pour traiter des questions environnementales. C’est-à-dire se concentrer sur des priorités spécifiques, comme les incendies de forêt – qui est un thème émergeant dans l’Arctique.

Feux de toundra dans les Territoires du Nord-Ouest. Image : Peter Griffith / Nasa

Donc travailler davantage sur la science. La dépolitisation des relations est prioritaire pour cette année, mais il faut également reconnaitre la nécessité de maintenir le contact et le dialogue constant avec la Russie à travers des groupes de travail et des Senior Arctic Officials [plus haut niveau du conseil, ndlr]. Si le Conseil de l’Arctique perd ce dialogue, la Russie risque de dire « vous n’êtes pas intéressés par nos objectifs, vous ne servez pas notre intérêt, donc au revoir ».

Il y a eu une mise à jour des lignes directrices, il y a quelques mois, à destination des groupes de travail, publiées sur le site web du Conseil de l’Arctique. Ces procédures écrites sont un moyen d’encourager la coopération scientifique, malgré la difficile organisation de réunions avec la Russie. Ceci n’est pas du tout revenu à la normale, et je ne sais pas comment cela se passera à l’avenir, cependant, il y a une volonté d’ouvrir de l’espace pour inclure tous les États de l’Arctique de manière égale.

Propos recueillis par Camille Lin, Polar Journal AG

Lien vers l’étude : Andreeva, S., Rottem, S.V., 2024. How and why the Arctic Council survived until now – an analysis of the transition in chairship between Russia and Norway. The Polar Journal 1–18. https://doi.org/10.1080/2154896X.2024.2342111.

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