Quand la recherche sur les ours polaires passe par les zoos | Polarjournal
Comment savoir si un traceur tiendra sur l’animal sans le gêner dans ses activités de chasse ou ses déplacements ? Les traceurs sont des outils extrêmement utiles dans la recherche sur les ours polaires dans leur milieu naturel, mais ils représentent un investissement. Les ours polaires dans les zoos permettent de tester ces traceurs directement sur l’animal. Photo : San Diego Wildlife Alliance

Animal emblématique du Grand Nord, l’ours polaire fait régulièrement l’objet de recherches scientifiques. Mais pas facile d’étudier le roi de l’Arctique dans son environnement naturel, ce qui génère nombre de lacunes dans notre compréhension de l’espèce et, du coup, dans nos politiques de conservation. Pour en savoir plus sur ce plantigrade polaire, les chercheurs se tournent alors parfois vers les ours polaires dans les zoos. 

Comment les ours polaires entendent-ils ? Dans quelle mesure le bruit produit par une exploitation minière ou pétrolière peut-il les perturber ? Dans un Arctique en train de fondre, où les ours polaires choisiront-ils d’établir leur tanière ? Quelles dépenses énergétiques supplémentaires seront nécessaires pour trouver des proies ou se reproduire ? Comment mesurer le métabolisme des ours polaires et leurs dépenses énergétiques dans des activités telles que la marche ou la nage ? Les drones sont-ils fiables pour mesurer leur masse corporelle ?

Autant de questions importantes pour mieux comprendre le roi de l’Arctique et agir pour sa conservation et qui taraudent les scientifiques. Mais pas facile d’y apporter des réponses. Les ours polaires évoluent sur un vaste territoire difficile d’accès et qui demande une grande logistique, souvent très coûteuse, ce qui rend certaines recherches extrêmement compliquées, voire impossibles à réaliser sur le terrain. De plus, tout examen sur un ours polaire à l’état sauvage exige que l’animal soit endormi au préalable au moyen d’un anesthésiant tiré depuis un hélicoptère. Là encore, la technique est coûteuse, voire même dangereuse et ne permet guère d’effectuer des prélèvements réguliers sur un même sujet. En outre, il est difficile de procéder à des examens ou à des prélèvements sanguins ou tissulaires sur des animaux en-dehors de la période estivale. Ces difficultés d’études sur le terrain génèrent des lacunes dans nos connaissances sur les ours polaires. 

Pour tenter d’y pallier, nombre de recherches s’appuient, totalement ou en partie, sur des travaux réalisés avec des ours polaires dans des zoos. Depuis dix ans, c’est une centaine de publications évaluées par des pairs qui ont été publiées, selon le Dr. Erin Curry, directrice du Polar Bear Signature Project au Centre pour la conservation et la recherche sur la faune en voie de disparition du Zoo et du jardin botanique de Cincinnati et coprésidente du Polar Bear Research Council. « Les ours polaires dans les zoos offrent aux scientifiques de précieuses opportunités d’en apprendre davantage sur la physiologie et le comportement de cette espèce. », relève-t-elle dans un email adressé à Polar Journal AG. « Comme il est impossible de collecter des échantillons longitudinaux sur les ours sauvages, les ours des zoos permettent de caractériser les hormones selon les saisons et les âges, générant ainsi une richesse de données de référence utiles pour étudier les impacts d’un environnement changeant sur les ours sauvages. »

C’est en étudiant l’alimentation des ours polaires dans les zoos qu’il a été possible de déterminer qu’ils étaient en fait plus des lipivores que des carnivores. Près de 70% du régime alimentaire d’un ours polaire sauvage est constitué de graisse de phoque pure. Les protéines animales demandent plus d’énergie au métabolisme de l’ours pour être assimilées et nuisent à leurs reins. Photos : Devon Sabo

De la reproduction à la nutrition, en passant par la validation de nouvelles technologies de suivi ou une meilleure compréhension et modélisation de l’écologie physiologique de l’ours polaire, les sujets de recherche sont vastes et touchent à tous les domaines. Mais comment la recherche sur les ours polaires dans les zoos s’organise-t-elle ?

Encourager et coordonner

Créé en 2018 par un groupe de scientifiques et de vétérinaires travaillant autant dans les zoos que sur le terrain, le Polar Bear Research Council (PBRC) encourage les zoos nord-américains à participer à des études axées sur des questions scientifiques auxquelles les chercheurs ne peuvent pas répondre en réalisant des études sur le terrain. Le conseil contribue également à la coordination de la recherche. 

Concrètement, l’équipe de recherche remplit un formulaire détaillant son projet d’étude qui sera examiné par plusieurs équipes d’experts de diverses disciplines au sein du PBRC. Si le projet rencontre un avis favorable du PBRC, ce dernier communiquera aux zoos la possibilité de contacter l’équipe de recherche afin de lui permettre l’accès aux installations appropriées.

Dans les zoos, les ours polaires peuvent être entraînés à prendre part aux examens ou aux prélèvements sans qu’il soit nécessaire de leur administrer une dose d’anesthésie. C’est le cas pour les prélèvements sanguins (photo ci-dessus), la pose de dispositif de suivi comme les colliers par exemple, ou encore d’études physiologiques où l’on mesure la respiration de l’animal lors de différentes activités comme la marche ou la nage afin de mesurer la production d’énergie. Photo : Como Park Zoo & Conservatory

Mais les activités du PBRC ne s’arrêtent pas là. « Le PBRC maintient également une liste de diffusion permettant aux scientifiques spécialistes des ours polaires et à d’autres professionnels de communiquer et de partager leurs connaissances, une base de données de publications et de projets en cours, un plan directeur mis à jour et encourage la participation à des réunions internationales telles que la conférence de l’Association internationale pour la recherche et la gestion des ours qui se tiendra à Edmonton, Alberta en septembre. », mentionne le Dr. Curry. 

En 2023, les membres du PBRC ont rejoint leurs collègues européens afin de les aider à compléter leur « Polar Bear Research Prospectus », un document destiné à guider la recherche sur les ours polaires dans les zoos et aquariums en Europe et équivalent du « Masterplan », le plan directeur du PBRC publié tous les deux à cinq ans. « Les projets futurs comprennent la création de protocoles standardisés d’échantillonnage et d’autopsie pour que tous ceux qui travaillent avec des ours polaires collectent des données biologiques de la même manière afin qu’elles soient comparables dans les enquêtes futures. », complète le Dr. Curry.

La reproduction est un domaine essentiel mais pratiquement impossible à étudier chez les ours polaires en liberté en raison du manque de méthodes de surveillance. A partir de là, on ne peut pas déterminer la fréquence des fausses couches et les échantillonnages, réalisés sur des animaux sauvages durant la période estivale, n’offrent pas beaucoup de données sur les fluctuations hormonales sur l’année. A l’inverse, la surveillance des hormones fécales chez les ours polaires dans les zoos a fourni un aperçu des changements saisonniers de la testostérone chez les mâles, du cycle de reproduction chez les femelles et du moment de la maturation sexuelle chez les juvéniles. Photo : Michael Wenger

Réglementations strictes

Mener une recherche sur un ours polaire dans un zoo est un acte strictement réglementé, à l’image de l’hébergement de ces animaux dans ce type d’infrastructures. Car pour pouvoir héberger un ours polaire, il faut montrer patte blanche.

A moins d’y être né, les ours polaires dans les zoos sont généralement des orphelins placés par l’autorité gouvernementale. Tout zoo ou aquarium qui souhaite héberger un ours polaire doit obtenir un permis et répondre à des exigences strictes relatives aux soins vétérinaires, aux exigences en matière d’installations et à la qualité de la nourriture et de l’eau pour ces animaux classés comme mammifères marins.

En Amérique du Nord, l’Association des zoos et aquariums (AZA) et  l’Association canadienne des zoos et aquariums (CAZA) sont les organismes chargés d’accréditer les installations qui hébergent les ours polaires. En Europe, l’EAZA (Association européenne des zoos et aquariums) gère via le Bear Taxonomic Advisory Group (TAG) les ours polaires des zoos européens. 

Mirjana Binggeli, Polar Journal AG

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