À la convergence entre l’océan Austral, le Pacifique, l’Atlantique et l’Indien, les îles subantarctiques hébergent quelques rares plantes aquatiques d’eau douce. Elles vivent aussi bien dans des souilles d’éléphants de mer du sud, que dans des mares temporaires. Biologiste de l’Université de Lyon, Anne-Kristel Bittebiere s’intéresse à l’écologie des 6 espèces indigènes qui prospèrent naturellement sur l’archipel de Kerguelen. « Ce n’est pas tant la pluie, ni la chaleur qui structure la répartition des renoncules, du petit jonc natif, de la limoselle australe ou de la callitriche de l’antarctique, mais leur proximité à l’océan ; puisque l’activité animale venue du large apporte des nutriments. » nous décrit la chercheuse.
La chercheuse et ses collègues de Lyon, Rennes et Paris ont publié leurs premiers résultats sur le sujet dans Polar Biology début avril. Des résultats qui intéressent les gestionnaires de la Réserve naturelle nationale des Terres australes françaises : « La connaissance scientifique de ces espèces est essentielle pour les protéger, aussi bien leur biologie que leur écologie » nous explique Clément Quétel, chef du service Conservation et restauration des milieux naturels.
Lorsqu’elle s’est rendue sur place avec l’Institut Polaire Français en 2016, Anne-Kristel Bittebiere s’est aperçue que des plantes aquatiques s’abritaient dans ces trous remplis d’eau utilisés par les animaux pour se baigner. « On est allé du côté de Molloy [ancienne base géophysique], on a suivi les rivières et cherché où les plantes aquatiques d’eau douce pouvaient trouver des habitats pour se développer. » poursuit-elle.
L’archipel de Kerguelen est parsemé d’écosystèmes aquatiques d’eau douce, comme les mares temporaires, les étangs, les lacs, les tourbières, les suintements entre les roches, les sources d’eau chaude, mais aussi les souilles à éléphants de mer du sud.
« Sur la péninsule Courbet, les mares se vident temporairement, c’est normal l’été, mais cette année 2022-2023 il a fait très sec et elles se sont plus vidées que d’habitude. » explique-t-elle. « Normalement, les niveaux n’ont pas beaucoup d’effets sur ces plantes aquatiques, même si l’eau s’est temporairement retirée de la mare, elles peuvent survivre. » Par contre, les variations de température accentuées par le réchauffement climatique peuvent affecter leur métabolisme.
« La limoselle australe que nous gardons en culture au laboratoire de Lyon se multiplie par clonage », ajoute-t-elle. Sur l’île, les renoncules et autres plantes aquatiques pourraient être dispersées par les canards d’Eaton, qui affectionnent ces zones humides, en dispersant des graines ou des morceaux de plantes.
« Dans les rivières, il peut y avoir des algues, mais pas de plantes à fleurs et très peu de végétation. Il n’y a pas beaucoup de nutriments vitaux comme le nitrate ou le phosphore, il n’y a que des mousses qui se développent sur le bord. Les crues annuelles pourraient les emporter. Plus tu t’éloignes de la côte, moins il y a de mares et moins il y a de nutriments. » remarque la biologiste.
Ces plantes si particulières ont des aires de répartitions très limitées, on retrouve certaines espèces à Marion Island ou sur d’autres îles subantarctiques. La limoselle est aussi présente dans le nord de l’hémisphère nord, comme à Saint-Pierre-et-Miquelon, au large du Canada. Seule la renoncule Ranunculus moseleyi serait endémique de l’archipel.
Camille Lin, PolarJournal
Précisions taxonomiques : Comme précisé par Pierre Agnola, chargé des programmes de conservation de la flore et des habitats de la Réserve naturelle nationale des Terres australes françaises, les 6 espèces de plante à fleur inféodées aux écosystèmes aquatiques d’eau douce de l’archipel Kerguelen ne sont autres que trois espèces de renoncules : 1. Ranunculus biternatus ; 2. Ranunculus pseudotrullifolius ; 3. Ranunculus moseleyi. Ainsi que le jonc natif (Juncus scheuchzerioides), la limoselle australe (Limosella australis) et la callitiche de l’antarctique (Callitriche antarctica).
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