Accident de fibre optique, une partie de l’Alaska coupée du monde | Polarjournal
Le réseau de câbles de fibre optique de Quintillion jusqu’à Nome. L’éclair marque le point où s’est déroulé l’incident. Image : Quintillion

Une entreprise de télécommunication américaine, qui a l’ambition de connecter le Japon à l’Europe en passant par l’Arctique, essuie un revers technique. La faute à un iceberg échoué sur le fond qui laisse les habitants du nord-ouest de l’Alaska sans accès à internet via la fibre optique sous-marine de cette compagnie.

Un iceberg sectionne un câble de fibre optique sous-marin, black-out dans le détroit de Béring. Le 16 juin dernier, l’Administration nationale des télécommunications et de l’information a débloqué 88,89 millions de dollars pour renforcer le réseau de fibre optique sous-marin d’Alaska suite à un incident.

Entre le 10 et le 11 juin dernier, un iceberg échoué qui raclait le fond a coupé le câble de fibre optique responsable d’une partie de la connexion du nord-ouest de la péninsule. Les localités autour de Ulguniq, Utqiagvik, Point Hope, Kotzebue et Nome, sont actuellement privées du réseau Quintillion (une société de télécommunication).

Environ 20 000 personnes sont affectées par la coupure. « C’est un signal d’alarme pour nous tous. Nous devons nous assurer que notre plan d’urgence est à jour », disait le maire de Nome après avoir pris conscience de l’impact de la panne dans cette ville qui compte 4 000 habitants.

Nome, situé à l’entrée du détroit de Béring, est un important port de pêche. L’administration américaine prévoit d’augmenter considérablement les infrastructures portuaires à usage civil et militaire à l’avenir. Image : City of Nome

Le black-out a entraîné de sévères conséquences dans la vie de tous les jours. Des entreprises, des universités et des centres administratifs ont dû fermer puisqu’ils n’avaient plus d’accès à leur réseau. « Certains commerces sont revenus à l’impression de la carte bleue sur papier carbone pour encaisser », nous explique Michael Delaunay, chercheur en sciences politiques, spécialiste des câbles sous-marins à l’Observatoire de la Politique et de la Sécurité de l’Arctique.

En attendant les réparations, les sociétés One Web et SpaceX augmentent leur couverture satellitaire en Alaska. La redondance avec le satellite ou les ondes terrestres permet de pallier la perte de connexion. Les gens qui ont un contrat téléphonique chez d’autres opérateurs comme OTZ, s’en sortent avec une connexion intermittente. Les points de vente de matériel Starlink sont pris d’assaut.

Réparer et améliorer la connectivité

Quintillion doit réparer le câble. « Cette opération permettra de répondre à quelques questions. Quel est le matériel nécessaire ? Quel est l’effet de la glace sur les opérations ? Quels sont les délais ? Faudra-t-il à l’avenir positionner un câblier brise-glace dans cette zone ? C’est un premier galop d’essai. » décrit Michael Delaunay.

L’entreprise a repéré la coupure au large d’Oliktok, un complexe portuaire installé sur le point accessible en voiture le plus au nord du continent américain. « En envoyant des signaux dans le câble, on peut détecter où s’arrête le signal », explique-t-il. D’après les mesures, le signal s’arrête à 55 kilomètres de la côte, là où les fonds s’élèvent à plus de 20 mètres sous la surface de la glace.

Le câble endommagé a été posé en 2016. « En 2017, Quintillion a été obligé de le faire enfouir dans un sillon de 4 mètres de profondeur, creusé par une charrue. L’entreprise savait qu’un iceberg pouvait abîmer le câble. » rappelle-t-il. Les réparations prendront entre 6 et 8 semaines. « Il n’y a pas de navire disponible dans la zone, les câbliers sont très sollicités en ce moment », constate l’expert.

Pour éviter que le réseau s’effondre à nouveau, l’entreprise installera un second câble sous-marin entre Nome et Homer. Cette nouvelle portion terminera une boucle autour de la péninsule qui passe par la mer et la terre. Cette nouvelle installation sera « redondante » : en cas de coupure toutes les villes resteront connectées.

Navire câblier Île de Bréhat, bâtiment de travail de la compagnie Alcatel Submarine Networks. Image : Hervé Cozanet / Wikimedia Commons

« Le projet initial, c’est le raccordement de l’Alaska au Japon et à l’Europe. Si cela avait été fait dès le départ, le réseau aurait déjà été redondant. » constate le politologue. Même si Quintillion est toujours dans la course pour établir la jonction, un projet concurrent prend de l’avance. « Le projet Far North Fiber est mené par la société finlandaise Cinia, financé en partie par l’Europe et sera fabriqué par Alcatel Submarine Networks. Cette dernière a déjà posé le câble de Quintillion, l’entreprise a donc de l’expérience dans le domaine. » ajoute-t-il.

Les navires poseurs de câbles coûtent très cher à l’exploitation, 1 à 2 millions par mission et certaines ne durent que quelques semaines. La jonction entre le Japon et l’Europe représente 15 000 kilomètres de câbles. Michael Delaunay estime que pour une telle entreprise : « le premier qui aura posé le câble aura le marché. »

En attendant, Nome reste coupé du monde. Mais lorsque la connexion sera rétablie et renforcée par un second câble sous-marin, un autre projet augmentera l’ouverture de la ville vers l’extérieur. Six-cent millions de dollars viennent d’être planifié pour transformer son port, d’ici 2030. Il devrait devenir le premier port en eau profonde des USA en Arctique pour accueillir les navires de grandes tailles. Tourisme, défense, offshore et échanges commerciaux, Nome pourrait devenir une ville influente en Arctique.

Camille Lin, PolarJournal

En savoir plus sur le sujet :

Print Friendly, PDF & Email
error: Content is protected !!
Share This