Mise à jour de la politique de défense du Canada dans l’Arctique : un coup d’éclat, un coup de théâtre | Polarjournal
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Le premier ministre canadien Justin Trudeau (à droite) et le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg posant avec des soldats de l’OTAN. Photo : OTAN

Article d’opinion de Paul T. Mitchell, Collège des Forces canadiennes

La récente mise à jour de la politique de défense du gouvernement canadien, intitulée Our North: Strong and Free (Notre Nord : Fort et Libre), a été publiée récemment avec grand bruit. Promis durant un an, ce retard semblait indiquer les pressions budgétaires du gouvernement libéral face à l’explosion du déficit.

En fin de compte, il y a eu plus de chaleur que de lumière et il s’agissait moins d’une mise à jour pour faire face à la détérioration de l’environnement de sécurité international que d’une simple réaffirmation des approches traditionnelles de la défense du Canada.

Annoncée par une équipe conjointe composée du premier ministre, du vice-premier ministre et des ministres de la défense et des anciens combattants – avec en toile de fond les avions de la Royal Canadian Air Force à la Base des Forces canadiennes Trenton – le gouvernement a déployé des efforts considérables pour présenter cette politique comme un changement de cap marqué pour le Canada.

L’Arctique en point de mire

En particulier, la mise à jour se concentre sur le nord du Canada.

Les politiques précédentes – comme le livre blanc de Brian Mulroney de 1987, Challenge and Commitment, et la Canada First Defence Strategy de Stephen Harper de 2008 – étaient fortement axées sur l’Arctique, mais celle-ci met l’accent sur ce thème dès le titre.

Au sein du ministère de la Défense nationale, on espérait que le gouvernement annoncerait quelque chose d’important, peut-être même un engagement à remplacer les quatre sous-marins de classe Victoria de la marine.

Le Canada a été soumis à une forte pression internationale pour augmenter ses dépenses de défense. Bien que cela soit historiquement vrai depuis les années 1970, l’aveu du Premier ministre Justin Trudeau, l’année dernière, selon lequel le Canada ne respecterait jamais l’engagement pris auprès de l’OTAN de consacrer deux pour cent de son PIB à la défense, a intensifié cette pression.

Certes, les chiffres annoncés sont impressionnants : 8,1 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années et 73 milliards de dollars au cours des 20 prochaines années. Cependant, même ces chiffres ne sont pas suffisants pour permettre au Canada de dépasser les 1,76 %, et ce, uniquement d’ici 2029-30.

Un C-130 piloté par des aviateurs de la 109e escadre de transport aérien de la Garde nationale aérienne de New York décolle de la station des Forces canadiennes Alert sur l’île d’Ellsmere, au Nunavut, après avoir déposé des fournitures, le 30 septembre 2019. Photo : Matelot de 1re classe Paul Green, 8 Wing Imaging © 2019 MDN-MDN Canada

En désaccord avec la réalité ?

Les remarques de la vice-première ministre Chrystia Freeland lors de la publication officielle de la politique sont particulièrement remarquables compte tenu de la déclaration qu’elle a faite en 2017, en tant que ministre des affaires mondiales, lorsqu’elle a annoncé au Parlement :

« S’appuyer uniquement sur le parapluie de sécurité des États-Unis ferait de nous un État client. Et bien que nous entretenions d’excellentes relations avec nos amis et voisins américains, une telle dépendance ne serait pas dans l’intérêt du Canada. C’est pourquoi il est manifestement nécessaire de faire notre part du travail. C’est pourquoi notre engagement à l’égard de NORAD et de nos relations stratégiques avec les États-Unis est si important. C’est en pesant de tout notre poids dans ce partenariat, et dans tous nos partenariats internationaux, que nous avons du poids. »

Et pourtant, malgré les progrès réalisés dans le cadre de la mise à jour de la politique Strong, Secure and Engaged de 2017, les alliés du Canada se sont plaints que ce dernier ne parvenait pas à peser de tout son poids – l’ancien président des États-Unis, Donald Trump, étant le plus véhément à cet égard, mais d ‘autres ont également fait de même.

Mme Freeland a réitéré ses propos de 2017 lors de l’événement organisé à la Base des Forces canadiennes Trenton:

« Si les puissances moyennes ne sont pas prêtes à défendre – et, si nécessaire, à se battre pour – la paix et la stabilité dans le monde, les règles du jeu, y compris les frontières internationales, seront laissées à l’appréciation des grandes puissances. …. Et cela ne serait certainement pas bon pour le Canada et les Canadiens. Nous ne pouvons pas être à la merci de décisions prises sans nous dans des capitales étrangères ».

Mais le délai de 20 ans de la nouvelle politique, et le fait qu’un grand nombre d’investissements proposés soient « à explorer », suscitent des inquiétudes considérables quant à la question de savoir si le Canada a vraiment décidé de peser de tout son poids.

Un membre du 436e Escadron fournit des signaux au sol à un CC-130 Hercules de la Royal Canadian Air Force pendant le démarrage du moteur, le 8 juin 2021, à la Station des Forces canadiennes Alert, au Nunavut. Photo : Sergent Vincent Carbonneau, Caméra de combat des Forces canadiennes

Priorités vagues

La mise à jour continue de mettre l’accent sur les mêmes priorités fades et non spécifiques des livres blancs précédents : le Canada, la défense continentale et les contributions à la paix et à la sécurité internationales.

À un moment où, comme l’a dit Trudeau, « le monde a besoin de plus de Canada », la stratégie de défense du pays n’articule aucun des choix difficiles auxquels est confrontée une puissance moyenne dotée d’une armée minuscule dans un monde où les menaces se multiplient. Une politique plus audacieuse aurait pu décider de faire moins avec plus.

Cette mise à jour perpétue la mentalité désuète de la « maison à l’épreuve du feu » au Canada. En 1924, le politicien libéral Raoul Dandurand a prononcé la célèbre phrase suivante : « Le Canada est une maison à l’épreuve du feu, éloignée des matières inflammables », résumant ainsi l’approche du Canada en matière de défense depuis 1867. En d’autres termes, trois océans et une superpuissance nous protègent suffisamment pour que nous n’ayons pas à nous préoccuper de notre sécurité nationale.

Comment expliquer autrement l’acceptation apparente par le gouvernement fédéral du fait que la crise du personnel qui sévit actuellement dans les forces armées canadiennes ne sera pas entièrement résolue avant la prochaine décennie ?

Seulement en supposant que la géographie continue d’offrir au Canada un sanctuaire contre les conflits militaires.

Le Canada semble également imiter la fameuse « règle des dix ans » qui a permis à la Grande-Bretagne de sous-financer son appareil militaire pendant la période précédant la Seconde Guerre mondiale.

Léthargique, insipide

Au Canada, la stratégie militaire a souvent été négligée.

Avec toutes nos excuses à Mme Freeland, c’est en fait le résultat du statut de « client » du Canada, d’abord vis-à-vis de la Grande-Bretagne, puis des États-Unis. Au lieu de penser de manière indépendante, nous nous sommes contentés de suivre les directives de Londres, de Washington, des Nations unies et de l’OTAN.

Mais les anciennes certitudes des empires britannique et américain ou l’ordre international fondé sur des règles, tant vantées, s’estompent rapidement.

L’idée que les mauvaises choses n’arrivent qu’ailleurs est au cœur d’une approche laxiste et inconsciente des menaces qui se développent chaque jour dans le monde, et se manifeste dans une vague mise à jour de la politique qui ne verra l’aboutissement de ses objectifs que dans un avenir lointain.

Paul T. Mitchell, professeur d’études de défense, Canadian Forces College

Les déclarations et les points de vue exprimés dans ce texte représentent l’opinion de l’auteur et ne reflètent pas automatiquement l’opinion de Polar Journal AG ou de l’un des membres de son équipe. L’article est republié de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lire l’article original.

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