Un scarabée introduit à Kerguelen perpétuellement vorace | Polarjournal
Des éléphants de mer du sud s’attroupent chaque printemps en colonie sur la langue de sable de baie Charrier et encore bien d’autres, sur l’archipel des Kerguelen. Les femelles y mettent bas dans le sable juste en retrait de la laisse de mer. Cet écosystème ne peut fonctionner sans les petites mouches qui nettoient la matière organique. Image : Camille Lin / TAAF / Institut Polaire Français

Un scarabée introduit à Kerguelen, Merizodus soledadinus, est si actif qu’il serait capable d’éradiquer les mouches natives de l’archipel. Les scientifiques de l’Institut Polaire Français découvrent que son activité prédatrice ne diminue pas lorsque sa population grandit et que ses proies diminuent.

Un petit scarabée (Merizodus soledadinus) de six millimètres de long s’attaque aux larves de mouches natives de l’archipel des Kerguelen depuis 1913 et pour satisfaire son appétit vorace, mange l’équivalent de sa taille tous les trois jours.

Selon David Renault – biologiste de l’Université de Rennes et coordinateur scientifique de l’Institut Polaire Français – ainsi que pour ses confrères, la voracité du Merizodus est restée constante depuis le début de l’invasion du territoire. Leurs résultats viennent d’être publiés dans la revue Scientific Reports début septembre.

« On s’est demandé si l’espèce avait été plus vorace à son arrivée et si cela avait pu décliner au cours du temps. » explique David Renault. Certaines populations de prédateurs introduits sont connues pour exercer moins de pression lorsque la compétition entre prédateurs augmente.

Deux Merizodus soledadinus se disputent une larve de mouche, la lutte peut être rude. Image : David Renault / Institut Polaire Français / Écobio

« Ils auraient par exemple pu rapetisser pour dépenser moins d’énergie, ajoute-t-il. Or il mange toujours autant. » En plus de consommer les larves de mouche, il en tue sans nécessairement les manger. Même si la compétition est rude, ils restent très agressifs, donc l’impact sur les diptères est majeur.

Ces mouches décomposent la matière organique, comme les laisses de mer chargées d’algues, ou encore les oiseaux et animaux morts des grandes colonies de manchots, d’albatros et d’éléphants de mer du sud.

Les ailes de Anatalanta aptera, Amalopteryx maritima et Calycopteryx moseleyi – ne leur étant d’aucun secours aux Kerguelen à cause du vent puissant – se sont atrophiées et transformées en réserve de graisse.

Les mouches se maintiennent dans les zones où il y a beaucoup de matière organique, mais sont en déclin. Elles ont été éradiquées localement par le scarabée, et ce dernier pourrait entraîner leur disparition. « Si elles devaient disparaître, cela nuirait à la performance de l’écosystème, » remarque le biologiste.

Merizodus soledadinus se reproduit tous les ans, une femelle pond environ huit œufs, enfouis dans les 10 premiers centimètres du sol. Les éclosions atteignent un pic au milieu de l’été.

Les larves sont installées confortablement dans un sol aéré avec 80 – 90 % d’humidité. Pour s’assurer que leurs progéniture se développe, les adultes s’attaquent également à celles de leurs congénères.

Les hivernants de l’Institut Polaire Français parcourent des secteurs de l’île principale à la recherche des Merizodus soledadinus pour suivre sa dynamique et sa répartition. Image Mateo Tolosano / Institut Polaire Français

« Sur la base, il est possible de récolter 4  000 individus en 45 minutes à sept ou huit personnes. » précise le chercheur. Sa présence est établie dans l’est de l’île. À l’ouest, c’est trop humide, il pleut entre deux à trois mètres d’eau par an.

L’insecte est originaire de Patagonie et des Falkland. « Il a été également introduit en Géorgie du Sud qui connaît le même problème, mais de façon moins marquée, assure David Renault. Il y a là-bas une espèce native qui s’attaque à ses larves. »

Dans l’archipel français, le scarabée a été introduit dans la ferme expérimentale de Port-Couvreux en 1913, avec l’arrivée des fermiers, de leurs moutons et du fourrage issus des Falkland.

« Une date, un épisode unique, souligne-t-il. Ceci montre qu’une seule erreur peut causer des ravages. » La répartition du Merizodus est aujourd’hui telle que la seule chose qui peut être faite, c’est d’éviter d’introduire l’espèce dans d’autres îles de l’océan Austral.

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers l’étude : Géron, C., Cuthbert, R.N., Hotte, H., Renault, D., 2023. Density-dependent predatory impacts of an invasive beetle across a subantarctic archipelago. Sci Rep 13, 14456. https://doi.org/10.1038/s41598-023-41089-2

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