Le groupe international d’experts sur la biodiversité et les écosystèmes met en garde contre la menace que représentent les invasions biologiques pour la biodiversité, la santé et l’économie. Un problème majeur pour la conservation de la biodiversité dans les îles subantarctiques.
Un pissenlit, un lapin et un renne au milieu de l’océan Austral, c’est possible, mais pas vraiment désiré. Les espèces introduites et invasives sont considérées comme une menace. Elles contribuent à 60 % des extinctions globales d’espèces de plantes et d’animaux. Et 22 % des espaces concernés sont des îles, où elles causent la majorité des extinctions, c’est-à-dire 90 % de la disparition globales d’espèces. Auxquelles s’ajoutent les disparitions locales, causé pas 33 espèces invasives dans 240 cas à travers le monde.
C’est ce que détaille le dernier rapport de l’IPBES, le groupe d’experts intergouvernemental apportant des conseils aux politiques en matière de biodiversité et de services rendu par les écosystèmes – équivalent du GIEC pour le climat -, publié le 4 septembre dernier. Le rapport compile les résultats de plus de 13 000 publications scientifiques.
Les îles sont isolées et hébergent fréquemment des espèces endémiques, c’est-à-dire qu’elles sont strictement inféodées à l’une d’entre elles. Les écosystèmes les plus touchés sont terrestres, par exemple, un quart des îles ont un nombre de plantes introduites supérieur au nombre de plantes natives. Un quart des impacts sont reportés dans les écosystèmes aquatiques.
Les régions polaires sont concernées. Non pas parce que l’activité humaine y est intense, mais parce que ces territoires sont clairsemés d’îles à la biodiversité parfois unique. « L’île d’Amsterdam était parmi les 10 îles au monde les plus prioritaires selon le programme de conservation Birdlife Interational. Un classement justifié par une configuration idéale pour des oiseaux rares comme le pétrel de Cook ou l’albatros d’Amsterdam, » explique Cédric Marteau, membre fondateur et ancien directeur de la Réserve Naturelle des Terres Australes Françaises, actuellement directeur de service à la Ligue de Protection des Oiseaux.
Les premières introductions problématiques répertoriées datent de l’âge de l’exploration et du colonialisme, c’est-à-dire des mouvements de personnes et de marchandises du 16e siècle. À partir du début de l’industrialisation, puis de la mondialisation, les introductions augmentent sévèrement, 37 % des espèces introduites ont été inventoriées à partir de 1970.
Contenir les invasions biologiques
Les scientifiques conseillent de renforcer les politiques de prévention, ce sont les moins coûteuses à long terme et particulièrement sur les îles. Elles sont importantes là où l’éradication d’espèces invasives est un vrai défi. La surveillance des frontières est essentielle. « Cela a fait partie des priorités de notre premier plan de gestion, explique Cédric Marteau. Nous avons mis en place un sas de biosécurité entre La Réunion, Crozet, Kerguelen et Amsterdam, avec l’appui des spécialistes australiens et Néo-Zélandais qui étaient en avance sur le sujet. »
Le rapport de l’IPBES affirme que tout repose sur une bonne préparation, c’est-à-dire la mise en place de programmes qui prennent en compte l’aspect législatif, un financement durable et le regroupement des bons acteurs. C’est aussi ce que la Géorgie-du-Sud a réussi à mettre en place concernant les rongeurs.
« Dès que la réserve découvre une nouvelle espèce de plante, elle est arrachée. C’est pourquoi il faut avoir une veille performante, des pièges passifs permanents dans les bases et renforcer la biosécurité, ajoute Cédric Marteau. Pour les espèces déjà installées, la marge de manœuvre est très petite. Les graminées ont une forte dynamique, impossible à corriger. »
Selon l’IPBES, les campagnes d’éradication réussissent souvent lorsque les populations sont petites ou ont une faible vitesse de propagation. Au cours du dernier siècle, sur 998 îles, 88 % des 1 550 exemples d’éradication documentés, ont été un succès. La Géorgie-du-Sud s’est par exemple libérée des rats en 2018. Ces actions sont moins coûteuses que les contrôles permanents à long terme ou l’inaction.
« Il y a eu des campagnes de dératisation réussies à Saint-Paul, Château, Moules et Australia, se souvient-il. Mais sur l’île principale aux Kerguelen, ce n’est pas possible avec les moyens actuels, les chats, les souris et les lapins sont trop nombreux, il faut maintenir une petite pression. Le pire serait de saccader l’effort. Les chats pourraient dans une phase de recolonisation augmenter leur portée de chatons et le gain serait sanctionné les années suivantes. »
Selon le rapport, toute solution mise en œuvre doit s’y prendre espèce par espèce et site par site, tant que possible. Certaines colonies d’albatros de l’île principale de Kerguelen sont préservées de l’attaque des chats depuis moins de 10 ans et les effets sont déjà visibles. Le succès reproducteur des albatros y a été restauré, mais il faut que cet effort reste maintenu.
Le rapport fait aussi mention des écosystèmes du plateau continental, récifs ou fonds marins. Dans certains cas, les espèces introduites représentent aussi un frein économique et fragilisent la sécurité alimentaire et la santé humaine. Aux Kerguelen, des moules et des truites ont été introduits. Des recherches sont en cours sur le fonctionnement de ses populations et leur impact sur l’environnement. C’est pourquoi le rapport précise par exemple qu’il est très important de ne pas vidanger les eaux de ballast des navires qui s’approchent de ces îles pour qu’elles soient préservées des invasions biologiques.
Camille Lin, PolarJournal
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