One Planet – Polar Summit, la cryosphère dans tous ses états | Polarjournal
Julienne Stroeve est une climatologue polaire qui travaille notamment sur la glace et de la neige. Image : Michael Wenger

La première journée du One Planet – Polar Summit s’est achevée par des discussions informelles hier après 22 heures près des animaux de la galerie de l’évolution du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, alors qu’elle a commencé au milieu des jardins, dans l’amphithéâtre Verniquet, avec le lancement du forum. Une journée animée par les exposées scientifiques sur l’état de la cryosphère aux allures de psalmodies. Ils ont dressé un constat le plus actuel en invitant les experts internationaux, avec un niveau de précision optimal.

Le retrait et l’expansion de la banquise dans l’Arctique (au nord) ont atteint une anomalie record en 2020, tandis que dans l’Antarctique (au sud), la plus forte anomalie a été enregistrée en juillet 2023. La banquise y a continué à croître jusqu’en 2015, mais elle perd beaucoup de terrain depuis 2016.

Toujours dans le sud, les fluctuations de la glace de mer sont de plus en plus prononcées, avec des écarts de plus en plus importants entre le recul et l’expansion. En conséquence, ces aléas s’éloignent de la moyenne autour de laquelle ils gravitaient auparavant. Il est encore trop tôt pour savoir, mais 2023 pourraient annoncer un changement de régime.

Au nord, la glace de mer ne disparaîtra pas. Au cœur de l’hiver, dans la nuit permanente, elle se formera encore. En revanche, les différents scénarios montrent sa réduction drastique dans les années à venir.

La relation entre les gaz à effet de serre émis par l’activité humaine et la perte de glace de mer est scientifiquement établie par une équation simple. Plus il y a de carbone dans l’atmosphère, moins il y a de glace de mer sur l’océan. Ainsi, pour chaque tonne de carbone rejetée, la glace de mer perd 2,6 mètres carrés.

La glace de mer est liée aux changements continus de la circulation des masses d’air. Mais les mécanismes à l’œuvre à haute altitude ne sont pas bien compris par la communauté scientifique. Le jet stream et même la couche d’ozone pourraient influencer l’évolution de la banquise.

Une glace qui, quand elle cède sa place à l’eau, crée de la vapeur ce qui pourrait accentuer encore l’effet de serre. Mais la durée de vie des nuages est mal connue, de même que le rôle des précipitations dans le cycle de l’eau en Antarctique.

Lorsque la glace de mer se forme, l’eau libère de la saumure en se solidifiant. Les couches d’eau contenant cet excès de sel sont plus denses et s’enfoncent plus profondément. Donc, moins de glace de mer c’est un océan moins salé et des courants potentiellement moins puissants, affaiblis de surcroît par l’apport d’eau douce provenant de la calotte glaciaire.

Il est possible que ces cascades sous-marines descendent moins profondément et, par conséquent, ralentissent l’absorption du carbone atmosphérique, et crée un flux d’eaux plus chaudes vers la surface. Pour le confirmer, les scientifiques devraient étudier plus en détail les océans Arctique et Austral, peu fréquentés l’été et encore moins l’hiver.

Antje Boetius est une biologiste océanographe aujourd’hui directrice de l’Institut Alfred Wegener, Image : Michael Wenger

Plus d’instruments de mesure dérivants ou ancrés dans l’océan, plus d’observations au centre de l’Arctique, ou par satellite, un meilleur accès aux données et plus de temps pour les examiner. La liste des recommandations techniques pour améliorer les résultats scientifiques a été largement mise en avant lors du forum.

Des alliés pour les scientifiques

La glace est aussi un support sur lequel la vie s’accroche. Dans les pôles, les micro-organismes sont uniques, non seulement parce qu’ils sont adaptés au froid, mais aussi parce que leur génome ne se trouve nulle part ailleurs sur la planète. Ils produisent des gaz, dont certains ont un effet refroidissant, et le phytoplancton est la principale source de matière organique, qui alimente tout le réseau trophique.

Les prédateurs de l’Antarctique sont des alliés pour les scientifiques. Ils peuvent embarquer des capteurs sous la glace ou en profondeur, là où ils chassent, et rapporter de précieuses informations.

Yan Ropert Coudert est biologiste et ornithologue, actuellement directeur de l’Institut polaire français. Image : Michael Wenger

En combinant les données sur le comportement de chasse des manchots avec celles des phoques, des baleines et des orques, on obtient une carte détaillée de leurs espaces vitaux. Une carte qui devrait être utilisée par les décideurs politiques pour créer des zones marines protégées.

La biodiversité est menacée, une chercheuse thaïlandaise a par exemple découvert une augmentation significative du nombre de parasites chez les poissons de glace, qu’elle relie aux polluants issus des combustibles fossiles.

La réduction des émissions de gaz à effet de serre est une recommandation impérative. Tant pour le fonctionnement des sociétés que pour la science, qui s’interroge sur ses propres pratiques.

Les efforts peuvent porter sur une plus grande coopération, une relocalisation de l’expertise scientifique au plus près des zones concernées, au plus près du terrain. En Australie, en Nouvelle-Zélande, au Chili, en Argentine. Mais aussi dans le nord, au plus près des communautés inuites, qui doivent aussi pouvoir décider de leur propre politique, par exemple sur l’augmentation du trafic maritime dans le passage du Nord-Ouest, présentant des risques (pollution) et des avantages (approvisionnement) pour les habitants du littoral. Les scientifiques demandent une analyse de l’impact du trafic à venir.

Ils demandent également une analyse plus régulière de l’élévation du niveau des mers causée en partie par la fonte des calottes glaciaires et des glaciers, et par le réchauffement de l’eau. Car chaque centimètre de hausse a un impact sur deux millions de personnes.

La stabilité des calottes glaciaires dépend des reliefs sur lesquels repose leur ligne d’échouage, mais là encore, on manque de données sur ces zones, pourtant cruciales pour estimer le franchissement des seuils. Au-delà desquels, les glaciers disparaîtront.

Ce flux ininterrompu, rythmé comme des mantras, décrit les découvertes et les questions les plus récentes dans les domaines polaires et de haute altitude, a permis de valider, sous l’oreille attentive de 300 spécialistes, les grands thèmes d’une liste de recommandations. Elle sera remise aux décideurs politiques demain. Elle reste pour le moment secrète, tout comme les engagements d’action qui seront déclarés vendredi.

Camille Lin, PolarJournal

En savoir plus sur le sujet :

Print Friendly, PDF & Email
error: Content is protected !!
Share This