Livre – Sentinelle du climat | Polarjournal

Dans un nouvel ouvrage qui nous fait vivre la tension du terrain, la charge motivante des rencontres, nous avons la passionnante sensation d’être glaciologue le temps d’une lecture et de vivre en coulisse l’aventure de Heïdi Sevestre, avec qui nous nous cultivons au fil du récit.

Ouvrir Sentinelle du Climat, c’est s’apprêter à passer des seuils en suivant les traces de la glaciologue Heïdi Sevestre. Nous passons de l’état solide à l’état liquide, d’un pôle à l’autre, des faits aux émotions, du spleen à l’idéal, des premiers pas d’une jeune femme aux expéditions polaires d’une femme d’action. En étudiant, elle voit disparaitre un monde glacé, ressentant le devoir d’en parler avec précision et simplicité pour que tout le monde saisisse l’ampleur des changements en cours.

« Je suis scientifique, cette démarche se base sur des faits, on doit rester neutre. Puis, j’ai remarqué lorsque j’étais en conférence avec des jeunes, ou des moins jeunes, que les gens retenaient plus les émotions, ce qu’ils ont ressenti quand ils ont compris ce qu’il se passait. » nous explique-t-elle dans un entretien.

Originaire des Alpes, elle a grandi dans les montagnes, à l’âge où l’on commence à chercher un chemin à suivre, elle découvre l’histoire du commerce de la glace dans le bassin Rhodanien entre la crête des Alpes et Marseille. Nous sommes dépendants du cycle de l’eau, écrit-elle en filigrane, autrefois cette glace servait à la conservation des aliments, aujourd’hui elle est en train de disparaitre.

« Au Svalbard, ces derniers mois, toutes les expéditions ont été évacuées tellement les conditions étaient dangereuses. Tu as l’impression d’être sur la ligne de front, puis quand tu rentres en France dans une période de l’année où on a encore la chance de ne pas subir le changement climatique, les gens doutent, il y a des questionnements… mais c’est pas mal, s’il y a des questionnements, c’est qu’il y a un début de recherche de réponse. »

Au cours ses études, en Erasmus au Svalbard, elle est prise dans une avalanche. Au Népal, elle est saisie par le témoignage d’un vieux berger rescapé d’une crue glaciaire. Nous éprouvons avec elle le climat, la neige, la glace, en alternant du rationnel à l’émotion, la lecture est envoûtante et instructive. On se rend compte qu’elle arrive à garder espoir dans toute circonstance.

« Les scientifiques ne cachent pas que ce qu’il se passe est alarmant et fait peur, mais il faut aussi insister sur le fait qu’on n’a pas franchi tous les points de bascule de la cryosphère, on ne peut donc pas baisser les bas. »

Pendant son apprentissage de la glaciologie, elle garde un but en tête, produire des informations tangibles pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et veut apporter sa pierre à l’édifice. Heïdi Sevestre affrontera le froid, devient docteur, et puis une efficace vulgarisatrice de science.

« J’ai eu de la chance, on ne m’a pas mis de barrière parce que j’étais une femme qui se lançait dans des expéditions en glaciologie. J’ai peut-être manqué d’exemple, mais en France on en a un qui est extraordinaire, une des pionnières, Madeleine Griselin. Je lui suis très reconnaissante, grâce à elle j’ai su que j’allais survivre en glaciologie. »

Au cours du récit, ses expériences ne la laissent pas indemne de réflexion. Elle interpelle son lecteur, lui donne des réponses, le récit bouillonne d’énergie. On visite les coulisses de la glaciologie, de ses contradictions à la joie de l’obtention d’un diplôme en passant par le sentiment de perdre des proches. Elle témoigne physiquement de l’état de santé des glaciers de la péninsule Antarctique, et voyage dans le spleen. Préoccupée, elle s’interroge aussi sur l’empreinte carbone de la recherche.

« C’est un sujet auquel on pense tous les jours, quand on est scientifique, on est les premiers à dire qu’il faut décarboner l’économie, les collectivités sont en train de réduire leurs émissions. Quand on part en Arctique ou en Antarctique, cela repose en grande partie sur les énergies fossiles. Il y a des solutions qui se mettent en place, par exemple le Labo 1.5 aide les instituts de recherche à calculer leur empreinte. »

Dans le livre nous sommes souvent spectateurs d’un désastre dans des paysages fabuleux. Une boite de production de documentaires la contacte pour le tournage d’une série de métrages sur les glaciers. Elle estime qu’il faut faire parler ceux qui sont en train de disparaître et s’adresse à un grand public. Pour envisager l’avenir elle s’inspire d’Andri Snaer Magnason auteur de Du temps et de l’eau: Requiem pour un glacier.

« Il pose la question du temps pour comprendre les concepts du changement climatique, de l’acidification des océans polaires, du dégel du pergélisol, et énumère trois ingrédients pour l’avenir, l’éthique, l’algèbre et la poésie. Je pense qu’on aura besoin de la science et de son éthique pour avoir des informations factuelles, mais aussi de poésie. On a besoin d’émerveillement au quotidien, dans ces paysages polaires la nature est extraordinaire. La poésie fait partie intégrante de notre capacité à réinventer un futur désirable. »

Images : Droits réservés

Camille Lin, PolarJournal

Lien vers la maison d’édition : HarperCollins

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